# voyages # 07 | quelques pas sur le bois de la terrasse

Et puis je suis allé la voir. J’ai frappé à sa porte. Une maison un peu comme toutes les autres de cette avenue, dans les verts, en bois, passé lavé. C’est resté sans réponse, j’ai fait le tour par le jardin : sur la véranda couverte, cette terrasse de bois ancien dans les gris, il y avait là une chaise usée. J’ai frappé à la porte de ce qui m’a semblé être la cuisine. Il n’y avait pas de vitre, juste un treillis très fin, en tout petit fil vaguement rouillé qui ne laisse passer que l’air. Rien non plus. J’ai patienté un moment, et je l’ai vue arriver. Elle marchait tranquille sur l’avenue, sans presse ni hâte, à l’ombre des grands arbres qu’il y a là. Elle ne m’a pas vu tout de suite mais elle allait entrer dans sa maison, elle n’y entrait jamais que par l’arrière, je l’apprendrais ensuite, j’étais assis à l’ombre, à attendre donc. Elle s’est arrêtée sur le pas de sa porte et m’a regardé : qu’est-ce que je faisais là ? était la question que je me posais, mais j’ai attendu qu’elle me parle. J’ai beaucoup de patience et je sais attendre même si, comme beaucoup de monde, je déteste ça. Je ne peux pas dire que ça ait été un sourire mais ça y ressemblait presque. Elle avait le cheveu gris et sec, rare et ras; des yeux un peu perdus dans une espèce de brume, une jolie courbe du menton ; elle portait une blouse longue, à larges fleurs aux tons froids et sans manche; on distinguait ses bras sous un pull en laine, peut-être gris clair,  qui lui descendait jusqu’aux poignets, maigres comme tout son être. Elle était là, sur le pas de sa porte et moi, je n’osais rien dire, peut-être que le treillis faisait moustiquaire, elle a tiré la porte à elle, et est entrée sans la refermer derrière elle. Je me suis levé. En face, dans la maison bleue, rien ne bougeait, ça avait l’air d’un rêve, quelque chose qui ne devrait pas se passer. Bien sûr, j’aurais dû la suivre puisque, après tout, j’étais là pour ça, et entrer derrière elle, quelque chose m’en empêchait pourtant. J’ai attendu. J'attendais sûrement qu'elle m'invite à entrer, qu'elle me le demande ou quelque chose de ce genre. Je suis retourné m'asseoir. La chaise a légèrement grincé quand je me suis assis. À un moment, j’ai cru entendre comme quelque chose d’une musique, peut-être du piano ou de l’orgue, j’ai cru reconnaître le Dark side of the moon de Pink Floyd – un album qu’on m’avait offert quand j’avais quinze ans – Dado, oui Dado, l’amie d’alors de mon frère – pour mon anniversaire. Je n’avais rien à lui demander cependant. J’ai laissé passer un peu de temps. Puis, je me suis levé et je suis allé frapper à la porte en moustiquaire. Le bois de la terrasse en forme de véranda geignait à peine. Sans plus de réponse que tout à l’heure. Je n’avais pourtant pas rêvé, ou alors je ne m’en étais pas rendu compte. Je suis retourné m’asseoir, il devait être cinq heures du soir, il n’y avait plus de soleil. J’ai attendu encore. Sans doute s'était-elle endormie. Il n’y eut plus de musique. Peut-être n’y en avait-il jamais eu. Dans le jardin, l’herbe haute bougeait doucement avec le léger vent, elle était jaune et on voyait le tracé d’un chemin qui allait presque directement à la maison d’en face, en passant par un grillage qui avait été cisaillé et soulevé pour laisser un passage. Sous ces latitudes, le jour tombe et laisse d’un coup place à la nuit. C’est arrivé, il n’y avait en face aucune lumière et tout était calme dans le quartier. Il ne me parvenait rien de l’intérieur de la maison. J’ai encore attendu mais je savais que ça ne me serait de rien. Je me suis souvenu de cet acteur qui jouait le rôle principal dans ce film de Kazan, et qui lui aussi patientait sur une véranda, dans mon souvenir. Kirk Douglas, oui. Je crois aussi que le jour était tombé et que la nuit avait commencé. Il n’y a pas besoin qu’il se passe quelque chose. Un chien a dû aboyer. Attendre et écouter, simplement, le vent qui bruisse et qui entraîne avec lui, quelque part, des rires d’enfant, voilà tout. Il me semble qu’il était assis sur un fauteuil à bascule, je ne me souviens plus tellement s'il avait déjà rompu avec Faye Dunaway,mais je crois qu'il attendait son père. Kirk, oui. Ou qu'il y pensait et s'en souvenait. Je me suis levé, à nouveau j’avais envie de partir. Je suis allé frapper à la porte en moustiquaire, tressée si fin que seul le vent, mais non, toujours rien

j’ai l’impression que ça tient tout seul – mais cependant il s’agit d’une espèce de suite à un travail en cours, Norma, élaboré lors d’un autre atelier – l’atelier d’ici a quelque chose à voir avec le mien propre (il me semble bien avoir réalisé une version pour le pdf à un moment – j’en ai oublié l’emplacement – si je le retrouve, je poserai un lien). Je peux expliciter mais est-ce que ça servirait à quelque chose ? C’est elle, là, bien qu’elle ne soit pas nommée. C’est l’enquêteur qui parle à la première personne. Il faudrait se remettre en position pour continuer cette histoire – peut-être – on ne sait pas trop à quoi il enquête, non plus que seraient expliquées les raisons qui le poussent à venir là. Je n’en ai guère plus à en dire. J’avais aussi l’ambition, dans ce double voyage, (en légère contradiction avec la consigne ) de suivre deux lignes différentes – l’une qui se déroule durant quelque vacance (en 72 et sur une île – fond blanc) l’autre suivant l’élaboration et la continuation de Norma (fond gris, plus soutenu comme plus haut). On verra dans la suite.

de l’autre (samedi 4)
Il y avait ce chemin qu’il fallait parcourir du camping au centre ville, c’était le camping des Pins – un peu comme à Quend-Plage (je ne sais plus qui fréquentais Berk, qui n’est pas loin, qui accueillait les malades de je ne sais plus trop quelle maladie) qui s’appelait aussi les Pins (il y a, dans les terres à quelques kilomètres, le bourg qui se nomme Quend (ville peut-être bien) – c’est qu’il s’agit de cette époque-là, la mobylette était bleue et blanc, trois ou quatre heures de route – je ne me souviens pas l’avoir faite cette route, sauf en rêve, en stop oui, une ligne droite interminable vers Rue – et puis cette amoureuse-là, la salle de bal peut-être au camping – plus âgée que moi, mais ici, non il fallait aller dans le petit matin de la boite de nuit au camping mais se lever vers dix heures, fondre sous la tente et en sortir au plus vite, trouver un coin à l’ombre, pour redormir sur un banc peut-être ou sur la plage à l’abri de pins parasols. Si je me souviens de ce Just a gigolo (Louis Prima) qui se chantait près de la Manche, je ne sais plus ce qu’il y avait comme musique dans cette boite mais ce sont ses lumières dont je me rappelle – elles s’éclairaient en cadence avec cette musique – et puis le moment venait de repartir vers le camping, un peu gris sûrement, un peu seul sans doute parfois – les autres restaient je m’en allai – je n’avais pas spécialement le cœur à danser contrairement aux vacances de Pâques précédentes où la joie s’exprimait franchement – entre temps les choses avaient changé, ce n’est pas que le monde ait été différent mais lui n’y était plus – j’avançai ce soir-là mais c’était pour revenir au camping chercher quelque chose et des chiens s’étaient mis à hurler, je me souviens de cette trouille (on la dit « bleue » mais j’aime le bleu), je me souviens d’avoir jeté des cailloux pour les faire fuir, qu’allais-je rechercher, je ne sais plus mais je sais qu’il me fallait revenir – des chiens errants la route longeait la voie de chemin de fer où ne passait qu’un train par jour – les lumières des lampadaires n’étaient pas oranges, il y avait quelque chose d’étrange dans ce petit parcours, je ne me souviens plus des épiceries où nous achetions à manger, je ne me souviens plus non plus de la plage, seulement le soir de mon arrivée, oui, le bain vers neuf heures du soir et l’image que j’avais de lui, les images : il y en avait une du mois d’août soixante au Crotoy, la plage de galets et les marques du soleil aux manches du marcel qu’il avait enlevé – le froid de l’eau qui se retire, cette bizarrerie de marée, les bâches (des creux dans le sable d’où la mer ne s’en va pas) mais le coucher du soleil sur la mer, oui, ça avait été une bizarrerie de plus – décidément nous étions ailleurs, et lui et ses lunettes d’écaille, quatre enfants une femme dans un autre pays – est-ce que c’était définitif ou simplement une étape vers quelque chose d’autre ? Je ne l’ai jamais su

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

10 commentaires à propos de “# voyages # 07 | quelques pas sur le bois de la terrasse”

  1. oui ça se tient et oui suis pas certaine qu’avoir le lien ne serait pas presque une façon de casser cette plage d’attente, cette rencontre qii a lieu sans être, la douceur

    • vous devez avoir raison, Brigitte (content que « ça tienne »)(d’ailleurs je ne l’ai pas retrouvé – mais j’y travaille, à Norma…). merci à vous

  2. L’attente sur la terrasse, onirique et réaliste, on a envie de la prolonger. Oui ça se tient.
    Et j’aime les soupçons d’irréalité qui affleurent aussi dans l’autre texte, ces découvertes d’un monde inattendu par le narrateur.

  3. Le premier texte nous happe, on s’installe, on attend, dans une présence absolue… Ensuite on retrouve ton écriture, une succession de flashs, visuels, sonores, sensuels… Beaucoup aimé, Piero. Merci.