#voyages #08 | Voyage épars

– Aux premiers rayons du soleils, s’élève une mélodie – sifflement et claquements secs -, les schistes se fendent
– Des questions, nous partons ici chercher des questions, laisser nos réponses là d’où nous venons. Notre arrivée sur place n’est qu’un départ, un autre. On nous voit parfois en déambulation, exemplaires effarés d’un troupeau, les yeux en quête.
– Sa main posée sur le mat de la table, bois sur bois = un cèpe, relief de creux et de tourments, la peau, pendante et ondulante, tendue comme celle d’un tambour en poing fermé.
– Chocs multipliés : air raréfié, montées, descentes, pression fluctuante, des soleils qui s’entrechoquent et percent l’œil, les tempes garrotées. Une pulsation.
– Le silence, des cataractes de silence que la respiration multipliée ne peut faire taire = adossé au mur d’un abri laisser les rythmes se synchroniser, de nouveau reprendre l’espace.
– Étrange formulation d’une terre « découverte en 1519 . » Qu’imaginer, l’endroit n’existait-il pas pour les autochtones, pas davantage qu’eux sans doute, pour les explorateurs ?
– Récit alternatif = Magellan fut découvert en 1519, sa première apparition de source crédible.    Il prétendait de façon incompréhensible agir au service d’un certain Charles Quint dont personne de sensé n’avait jamais entendu parler. Face à de telles élucubrations l’accueil fut froid. Plein de morgue l’intrus décida de laisser son nom à l’endroit qui s’en moquait. L’histoire raconte que d’autres aussi, ailleurs en d’autres terres, trouvèrent l’homme de mauvaise compagnie et un peu trop querelleur.
– Route 203 = est-ce autre chose qu’un trait sur une carte, que des lignes dans un livre ?
• La carte géographique de la Patagonie, épreuve originale réalisée en 1860 par Garnier F.A cartographe au prix de 350 euros avec en prime le petit bout du Détroit de Magellan – nous en avons déjà parlé. Dans les produits équivalents, sur la même page, une carte de l’Amérique du Sud, vendue 150 euros. Qu’y comprendre ? Un prix inversement proportionnel à la surface représentée ?
– Sur cette carte, je ne l’ai pas acheté finalement, un foisonnement de noms en bordure continentale, face à l’Océan Pacifique, des noms de villes, bourgades côtières, et puis au centre, un vide, un aplat de couleur pastel, bleu, à peu près, et rien, aucune annotation.
– La ligne, droite, fouille l’horizon, ramène le bleu du ciel à l’ombre naissante des sommets enneigés.
– Les hypothèses sur le nom de cette région – grande comme deux fois la France – foisonnent : terre de géants comme on le crut longtemps, endroit de rustres (pataõ en portugais), ou lieu des grands pieds, hypothèse qui tient ma préférence après ces jours de marche.
– Les pieds gonflés de sang et de kilomètres, vibrant encore des chocs, de la percussion des pas répétés – dans ces conditions l’enlèvement des chaussures, chaque geste du délassement, de l’écartement, le soin mis à les faire lentement, avec précaution, a une dimension rituelle, presque sacrée.
– La première montée, sèche et raide, a activé la pompe cardiaque, le flux s’est rué dans la tête, d’une seule poussée. Le paysage s’est assourdi, le champs visuel s’est rétréci, le regard fixe le point à quelques mètres, devant sur le sentier.
– À quelques mètres, derrière moi, sur le bord de piste, poussiéreux, un groupe d’enfants me jauge d’un regard sombre, me suit à distance respectueuse. Dans un jeu improvisé de mime, il épouse l’humeur de mes gestes, en miroir, dans un bel unisson. Un camion disperse les oiselets. Un regard par dessus l’épaule, il n’en reste qu’un nuage de poussière en suspension.
• 54 degré sud, 70 degré ouest, le canal de Beagles forme la frontière des deux pays, une rapide recherche nous apprend qu’une querelle territoriale, on se se refait pas, les a opposé depuis la première moitié du 19e siècle, jusqu’au dernières décennies du siècle suivant. Une médiation pontificale finit par attribuer les trois îles – Lennox, Nueva et Picton – delà la frontière du canal à l’un des deux.
– Le corps vacille
– À quoi servent les cartes ? Allongé sur le lit, les yeux fichés sur les poutres de bois clair du plafond, je laisse la questions sinuer en moi. Quel besoin de suivre sur le papier les contours d’une courbe de niveau, la tache grise d’un glacier. Quel récit s’y écrit-il ? Quelle confirmation le réel nous offre-t-il ?
– À ranger : granit, Mapuche, Nandou de Darwin, Antonio Pigafetta, Patagón, cerro Fitz Roy, conure magellanique, castor du Canada ?, patão, regio gigantum, miettes, chenaux, densité… ou à laisser en désordre.
– Une brûlure, chaque inspiration ramène un feu en soi.
– Abandonner la volonté de saisie, laisser…
– Le vent, on ne sait jamais d’où viendra sa bourrasque. Il vous saisit, toujours à l’impromptu, imprévisible, toujours salin, et gonflé d’humidité. Aucun vêtement ne suffit comme me l’a fait comprendre un vieil homme avec de grands gestes, un sourire amusé et édenté me voyant chercher un rempart bien illusoire.
– Mon oreille a abandonné l’idée de donner sens à l’espagnol local, peu importe, sa musique me plaît, un long chant, psalmodié, sorti d’une traite. Je n’en perçois pas les jointures. Cela se termine invariablement par une suspension, une inflexion montante et un sourire interrogateur.
– À faire : chercher le point d’équilibre des vents, celui où vents de l’ouest et    vents de l’est s’annulent = existe-t-il quelque part cet endroit ?
– Le long de la côte, sur la route déserte, une seule présence visible, la mienne – rien autour -, je n’ai pour compagnon encombrant que le sifflement persistant du vent à décorner les bœufs et étêter toute forme de continuité raisonnable.
– Le nombre de fou est-il supérieur ici dans ce bout du monde ? Le vent n’y laisse pas de répit. Je serais porté à le croire. Je n’ai pourtant croisé que des originaux mais plus d’humanité que dans bien d’autres endroits gouvernés par la raison.