#enfances #00 | les manèges

Du rouge. Du jaune. Des couleurs qui crient. Des machines qui tournent, sautent, balancent, grincent, déraillent. Bruit, cris, musique tonitruante. La petite fille tourne sous le soleil, au milieu des manèges, au milieu de la foule. Petite silhouette joyeuse, écrasée par les tours métalliques qui montent au ciel, les toboggans en vagues, les balançoires géantes. Les parents déambulent tranquillement dans l’allée bordée de marronniers aux fleurs roses, grondent le petit frère qui fait le clown, tiennent ferme la poussette du bébé. La petite fille traîne, regarde partout. Elle les voit de loin, pas de problème, elle surveille, elle sait déjà lire les panneaux, rue des lilas, place des fontaines, elle n’a pas peur, elle les retrouvera. Elle s’arrête devant les auto-tamponneuses, elle aimerait tant essayer, trop petite encore, tu iras avec papa, mais papa n’aura pas envie, alors elle regarde, compte les autos, compte les enfants qui conduisent en riant, compte les chocs boum boum. Les voitures s’arrêtent à bloc en cliquetant et redémarrent en grinçant, elle aimerait être dedans, elle pense qu’elle saurait bien faire, mais il faudrait aussi qu’elle fasse attention à sa jolie robe de dimanche que maman lui a mise, elle, elle préférerait porter un short comme les garçons, mais ça ne se fait pas,  elle rêvasse, continue le chemin, de vrais chevaux tournent dans un manège sur le sol couvert de paille, ça sent bon les chevaux, c’est doux, elle s’arrête pour les caresser, ils sont grands, elle n’a pas peur d’eux… fais attention ! on lui fait signe de partir plus loin, là-bas le train fantôme crache les voyageurs hilares, au cabinet du rire les gens se gondolent devant les miroirs, la musique assourdissante couvre les annonces des animateurs, elle n’écoute même pas, elle sautille, elle rit avec les gens qui sortent, il y a l’odeur des crêpes qui la réveille, j’ai faim, maman, j’ai faim, elle se retourne, cherche, trop de monde, trop de bruit, trop de rues, il faut tourner au coin ? Des arbres partout, des manèges partout, des familles partout…Elle reconnaît la grande roue, la roue géante à l’entrée qui dépasse tout le monde, c’est pour ça qu’elle s’appelle roue géante, mais ça ne lui montre pas où aller. On lui a toujours dit de rester tranquille et d’attendre qu’on vienne la chercher, mais les parents ne savent pas où elle est, on lui a toujours dit de ne pas parler aux étrangers, ici tout le monde est étranger pour elle … Elle est perdue, elle ne fait plus la fière, elle tremble, trépigne, puis les larmes arrivent, un torrent de larmes, de gros sanglots, des cris désespérés, ses petits pieds frappent le sol de colère et de peur, elle s’étrangle, s’étouffe, finit par abandonner et s’écroule sur le banc juste à côté…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.