#gestes&usages #02 | des coups.

Quand la colère l’envahissait, elle cognait, sur elle-même, la table, l’air, des gens pas aimés dans la cour de récré. Des coups impulsifs qui volaient dans tous les sens. Des coups pour se défendre, se détendre, épuiser toute cette rage qui l’étouffait. Elle cognait ou répondait à des coups mais il lui semblait qu’ils n’atteignaient rien, qu’ils n’éteignaient rien, des coups pour rien.

Les années ont passé et les coups se sont éteints.

Un soir, elle s’est rendu à un cours de boxe, Corps en sueurs, tee-shirts mouillés, la violence des coups, elle était fascinée. Saurait-elle ? Comment taper et se faire taper ? Comment l’accepter ? Comment le corps fait ?

Elle a commencé.

Echauffements, course, pieds, marcher, courir, s’arrêter, pompes au sol, courir, échauffements, tête, en haut en bas sur les côtés, échauffements, bras en croix et petits et grands cercles dans un sens et dans l’autre, échauffements, épaules à droite et à gauche, hanches, jambes, fesses et mains, doigts à ne pas oublier.

Echauffement et déjà épuisée.

Mettre les gants et se placer devant l’autre.

S’entraîner avant de cogner.

Connaître les gestes, techniques et précisions.

Pas de hasard, pas de coup dans le vent. Sentir dans tout le corps quels mouvements bouger et où frapper. Regarder l’autre dans les yeux pour ne pas montrer sa stratégie. N’être que corps à corps, pas de pensées. Elle frappe dans le vide, longtemps. Elle frappe sans comprendre. Se fait frapper sans esquiver. Le corps est fort mais pas souple. Le corps est dur mais tendu, maladroit. Souvent, elle tombe.

Se concentrer, respirer, se détendre. Se détendre entre les coups mais comment ? Se détendre mais comment ? Tu dois bouger plus tourner autour de l’autre ne pas rester et te laisser frapper respire monte sur tes pieds ne reste pas au sol l’autre ne doit pas te toucher danse autour de lui respire et quand tu es prête frappe et détend frappe et détend.

Elle s’acharne. Direct, crochet, uppercut, pointe, ostéopathe, chassé frontal, coup de pied arrière, feinte, distance, ostéopathe monte ta jambe ouvre tes hanches droit ton direct protèges toi les poings au menton toujours frappe et revient cogne et respire.

Elle s’acharne.

Elle apprend sans comprendre, voit sans comprendre, croit qu’elle a compris mais reçoit toujours les coups. Bras, jambes, hanches, se pencher, esquiver, revenir, toucher. Tout son corps doit être impliqué pas que les bras, tout son corps doit être impliqué pas que les jambes, tout son corps doit être impliqué, tout son corps, tout son corps, toute sa rage aussi. Ne pas oublier la rage mais la transformer, savoir la doser et la transcender.

Elle s’acharne.

Elle sent qu’elle pourrait cogner si on l’embêtait. Elle sait exactement quel coup il faudrait pour atteindre, faire mal. Elle sait respirer et ne presque plus recevoir de coups. Elle sait que cogner n’est pas nécessaire.

Elle s’acharne et joue avec l’autre.

Elle s’acharne et emporte tout dans son corps. Elle s’acharne et danse avec l’autre. Elle danse, rit, se sent légère. Et parfois, elle frappe fort et juste.

Boxer, c’est danser.

Corps en sueurs, tee-shirts mouillés, étirements. Les bras, les jambes, le dos, étirer de tout son long, de tout son être, les uns à côté des autres. Ceux que l’on cogne, celles qui vous ont cogné. Allongés, les uns avec les autres, à bout de souffle mais heureux.

Boxer, c’est respirer.

Ensemble.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

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