#photofictions #09 | de nuit

zone commerciale/cours d’eau/Parisis

et les trajets de nuit pour revenir d’on ne sait où avec elle qui rit tellement que la bouche est juste toujours comme une grande fente – je ne comprendrais plus tard, que ce sourire en fait, c’est plus comme une grande blessure qu’elle trimballe à gauche à droite, avec ce rire qui n’en finit pas de dire, un jour vous verrais, un jour je ne pourrais plus sortir de chez moi et tout le monde se demandera, tiens qu’est ce qui ne vas pas, pourtant elle est toujours tellement si joyeuse. Pour rejoindre chez elle il faut prendre le train de banlieue, celui qui relit sa banlieue à la mienne. Des noms en trois parties, avec des tirets au milieu, des noms d’endroits gris et sans la mer, des noms entre lesquels je me glisse durant trois ans, l’air de rien, comme si ça n’avait jamais existé en fait. Le train de banlieue. Un jour ils ont dit, en se marrant comme des baleines, qu’il y a un nouveau train. Et ils ont rit comme des baleines parce que j’y ai cru. On pouvait aller de l’Essonne à l’Ivry d’un coup en un seul trajet ? On pouvait tracer une ligne droite entre la grande maison de Corbeil – avec son jardin en friche et tous les poètes cachés dans les sous-sols, avec les amis adoptés, qui finissent un jour par vous mettre dans la merde, un matin quand des types sonnent pour réclamer de l’argent – donc on pouvait en un trajet relier cette maison, la sienne à lui, et son petit appartement à elle, là-bas, en haut de la tour, l’appartement que l’on rejoignait avec des ascenseurs différents -étages pairs et impairs.  J’arrivais toujours de nuit dans cet appartement-là. Il y avait, elle avec son sourire de béance et sa famille à vif, le congélateur plein de viande, et ce rire, toujours ce rire. Je dormais dans la petite chambre d’ami, où le père venait parfois s’exiler lorsqu’il ne dormait pas. Les choses disparaissent parfois progressivement, pas dans un grand éclatement, pas d’un coup, mais à petites touches, comme on recouvre un tableau raté de blanc, comme un souvenir s’estompe lentement, et qu’on s’affole à rechercher ce qui y était vraiment. La musique écoutée ce soir, là, est-ce que c’était vraiment ça ? Et cette phrase-là, est ce que quelqu’un l’a un jour prononcée ?  La voiture était rouge, pourquoi pas. Elle, elle conduisait quand moi je ne crois pas. On prenait le train de banlieue. Mais parfois, il y avait ses sorties dans la bagnole rouge. Pour aller où, pour voir quoi ? Est-ce qu’on peut résumer quelqu’un à ça ? A des trajets en voiture oubliés, à l’odeur d’un ascenseur, à la couleur de la nuit, à son rire aussi. Un jour elle a cessé de venir à la fac. Je revois des messages sur des écrans de téléphones indistincts, comment se rappeler à quoi ils ressemblaient ?  

A propos de Line

De métier éducatrice auprès d'adolescents en difficulté. Depuis un an animatrice en atelier d'écriture ( DU animateur en atelier d'écriture Université AIx-Marseille 2019-2020) et porosité entre ces deux espaces là qui se mélangent quelque fois, parfois plus que je ne le crois.

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