#P12 | Oualata

1 C’est enfin, Oualata ? La perle du désert, perdue dans les sables miroitants ? 2 je crie : Oualata, OU A LA TA. Me répondent le silence et le chant léger des dunes, 3 je marche vers Oualata. Le soleil m’écrase, 4 un ksar, ville fermée sur elle-même, maisons d’argile rouge pressées les unes contre les autre, 5 au loin un âne braie, 6 au loin un dromadaire blatère. Sous le poids de la chaleur je déblatère. A boire, donne-lui à boire, dit mon père 7 je suis perdue, le vent de sable m’a séparée de mes compagnons, je mourrai de soif sans voir Oualata 8 un homme se penche vers moi, calebasse à la main, il fait glisser un filet d’eau entre mes lèvres desséchées 9 boire à plus soif… doucement dit l’homme, 10 ses yeux étincellent dans son visage hâlé sous le chèche, 11 des femmes accourent, m’entourent, moi l’étrangère si blanche, étonnante, perdue, 12 sentiment de paradis, des échappées de ciel bleu au-dessus des ruelles tortueuses, l’ombre des maisons, le rire des femmes, le froufrou de leurs voiles transparents, des anges, peut-être ? 13 des cris, une carriole, un âne poussif m’emportent vers un ailleurs, 14 le cortège s’arrête devant une maison peinte d’arabesques blanches. Je suis arrivée à Oualata, 15 je crie Oualata OU A LA TA, 16 des enfants curieux m’entourent, je ne les comprends pas, ils ne me comprennent pas. Je suis étrange étrangère en ce lieu. 17 la grande salle est fraîche, une vieille femme m’allonge sur des tapis et des coussins ; de toutes ses rides, elle sourit, 18 une toute jeune fille caresse mon visage enfiévré d’un tissu humide. Je ferme les yeux. Les siens immenses, lumineux. 19 je murmure : Oualata. J’interroge : Oualata ? 20 elle me répond, hésitante en ma langue : oui, tu es arrivée à bon port. Repose-toi. 21 endormissements, rêve éveillé. Je rêve de Oualata ? je suis enfin à Oualata ? 22 tu es chez toi, à Oualata, repose-toi. 23 un parfum de menthe, légèrement anisé, me ramène à la vie, 24 le parfum qui flotte sur les marchés de Mauritanie, intimement lié à mes souvenirs 25 c’est l’heure du thé, c’est le rituel 26 le thé, je n’ai pas oublié, le premier thé amer comme la vie, le second fort comme l’amour, le troisième doux comme la mort, 27 entre mes mains le verre gluant de sucre, dans leurs yeux la chaleur de l’hospitalité, 28 soudain à l’extérieur des pas précipités, 29 un homme hurle : il faut cacher la femme blanche, un groupe terroriste s’approche de la frontière, il peut s’infiltrer, l’enlever, 30 des trafiquants armés, peut-être, 31 le thé doux comme la mort annoncée ? mourir à Oualata ! 32 rapides les femmes me soulèvent, écartent tapis et coussins, une trappe s’ouvre, les femmes m’aident à descendre l’échelle de bois 33 tu seras bien là, des tapis, des couvertures, de l’eau, des dattes, le temps de voir venir 34 la fillette supplie : je reste avec elle, lui tenir la main, la rassurer 35 elle allume une lampe à huile, la trappe se referme 36 je suis dans le ventre de Oualata, l’enfant me protège 37 comment t’appelles-tu ? 38 mon nom est Zohra 39 toi, pourquoi es-tu venue ici ? 40 un désir si grand : marcher dans les ruelles de Oualata, la grande sœur de Tombouctou 41 avant que les sables ne l’envahissent, avant que les frontières ne se ferment 42 tu n’avais pas peur ? 43 Malick, un vieil ami, escortait notre groupe, sur des pistes fréquentées, sécurisées 44 Allah t’a guidée vers nous 45 Allah a ordonné au sable de m’emporter dans sa tourmente ! 46 Louange à Allah, Allah sait mieux 47 écoute, on entend à nouveau les transistors qui hurlent les nouvelles du monde 48 et dans les mortiers la frappe des pilons qui broient les céréales 49 le danger s’est éloigné, la trappe s’ouvre, vive la lumière 50 la vie a repris son cours, quotidien, paisible, 51 dis, me demande Zohra, peux-tu m’emmener là-bas, dans ton pays ? Ici le collège est trop loin, je dois arrêter mes études 52 mais ta vie est ici, Zohra 53 je veux faire des études, être libre 54 ce que tu me demandes, il m’est difficile d’y répondre, j’en parlerai avec ta famille 55 ma mère milite pour le droit des femmes, pour l’égalité entre hommes et femmes, entre blancs et noirs, elle me soutiendra. Mon oncle Ibrahim installé à Marseille pourra s’occuper de moi 56 Inch Allah, si Dieu le veut.