#enfances #00 | perdue dans le couloir des chambres

Debout, brûlante dans sa chemise de nuit trempée à essayer de se repérer dans le noire de quel espace, de quelle chambre, de quelle pièce. Depuis combien de temps fixée là, 1 2 3 soleil, à attendre la reprise du mouvement. Elle fait disparaître sa respiration à l’intérieur de son ventre, poitrine collée au dos toute à l’écoute de la respiration d’ailleurs ; le ballon qui se dégonfle du père, les paroles incompréhensibles de la sœur, les froissements des draps tirés, les coussinets du chat qui se déplacent sur le parquet. Rien. Le silence n’existe pas. Sauf si on est mort. Il y aura toujours un craquement du bois, le ronronnement de la maison, les éclats du dehors, un moteur et son phare qui grandit pour disparaître. Où se diriger aller quand elle ne se souvient plus ce qu’elle est venue chercher, quand elle n’arrive pas à soulever l’épaisseur du sommeil pour se rappeler du rêve qui réveille, qui se volatilise dans la première fissure du mur de la mémoire.

La nuit et dans la nuit les ombres comme la haute mer, ses pieds nus sur du parquet. pas une cuisine ni une salle de bain, ni un tapis qui la conduirait à la géométrie rassurante d’un appartement. Maintenant, le parquet grince à certains endroits comme un xylophone. Ses pieds qu’elle dépose en lampes de poche, pour apprivoiser les soupirs du bois et les mains en pare choc paume ouverte devant elle. Défilée des chambres.

Gex. rue du creux du loup, sombre aux volets comme des paupières lourdes cousues, le lit bateau des parents qu’il faut grimper en montant sur le portant en bois son lit à côté en descente de lit. Elle aime cette chambre étroite où ils sont ensemble, où elle n’a pas été reléguée loin d’eux. Elle aurait du sentir depuis longtemps la tête de lit le mur nu rencontrer le tapis en natte rouge, à moins d’avoir dépassé la limite pour se trouver sur le seuil là où il y a l’échelle de meunier, la chute dans trou. S’arrête, tourne à droite, vers le dortoir avec les sœurs et les cousines dans leurs lits comme les filles de l’ogre avec des couronnes sur la tête ou avec des bonnets. L’ogre leur a peut être déjà tranché le cou, elle reste la seule survivante. Elle tourne sur elle même, une conversion comme avec le moniteur, quand elle s’emberlificote dans ses skis et bâtons. Retour à ce qui pourrait être le Nord, retourner à l’endroit du départ, tâtonne, sent des portants en bois comme une porte fenêtre.

C’est la maison Mer, elle l’entend, elle veut l’entendre avec sa force de fond, son odeur de sel, elle est tout près, derrière les portants, en tournant la poignée à l’ovale en grappe de raisin, elle retrouvera Maman. Tout est sombre à cause des volets intérieurs qui s’ajoutent aux volets extérieurs, elle reconnaît, elle ouvre, se cogne à une chaise, qui tombe, rien ne bouge, avance, elle se prépare aux obstacles, la table de nuit, encore une porte, ouvre : des pendus suspendus. Assaillie par des ombres flottantes, des strates de vestes, de manteaux qui sentent l’odeur puissante des petits bonbons blancs qu’il ne faut pas manger. Toute seule avec ces fantômes, ils sont partis en la laissant dans la maison abandonnée aux roulements de la pluie, au roulis du vent dans les arbres, seule dans cette maison sans lumière, dans une nuit sans lune avec le bruit d’un volet décroché quelque part dans ce grand navire, tous ces vêtements d’été oubliés avec la présence du grand-père, des morts des disparus. Maintenant elle a froid, elle écarte les bras pour se trouver cloisonnée entre des parois étroites, elle se cogne devant. Partir à reculons, à quatre pattes, comme le chien, elle hurlerait bien à la mort, mais sa voix ne passe pas, ne passe plus. Enfermée dans une armoire dans un vestibule, quelque part. Elle recule, il faut qu’elle arrive à retrouver le lit. Malgré sa peur des bêtes qui l’attendent sur le parquet, elle se souvient maintenant, qui attendent que sa plante des pieds, qu ses paumes écrasent les chenilles processionnaires, elle avance à quatre pattes, qu’importe si sa tête vient heurter du bois, qu’importe les livres qui lui tombent sur la tête, se saisit d’un bout de bois qui pourrait être un pied de lit, se hisse jusqu’au drap, cherche l’ouverture du lit qu’elle ne reconnaît pas, s’enroule dans ce qui pourrait être la couverture et attend. Ne plus bouger, se rappeler le chemin rassurant qui va à la mer, celui qu’elle connaît par cœur avec le petit marche pied de granit noir éclaboussé de lichen orange qui lui permet de descendre.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.