27 septembre 1963…2013

Vendredi 27 septembre 1963

La veille, je suis allé au bois avec Grand-Mère et mes cousins. Nous avons certainement cueilli les dernières mures, couru dans les allées, oublié nos soucis d’écoliers, puis mangé des tartines beurrées. Le matin, je n’ai rien pu avaler. À l’approche de l’école, je me souviens que j’ai le cœur serré. Dans la classe, tout est sombre et je tremble devant le vieil homme qui nous dirige avec sa longue baguette de bambou. Je ne comprends rien. Le maître non plus. L’après-midi, il y a eu l’affaire de la marge. Il paraît qu’elle est à lui. Je ne sais pas ce qu’est la marge. J’ai écrit dedans, je n’aurai pas dû. Je vois bien que c’est grave. Le vieil homme s’est vraiment fâché. Toute la classe a eu peur. Le soir, mes parents ont été convoqués. Ce jour-là, j’ai su que je ne saurai jamais lire, ni même écrire. Il m’a renvoyé chez les petits. Mais, pour moi, ce n’est pas vraiment important, car je veux être peintre pour colorier les maisons comme dans les albums que m’achète ma tante quand je suis sage. J’aime l’odeur de la peinture, les couleurs, les pinceaux et surtout les gros rouleaux. Je l’ai déjà dit à mon père, il ne m’a pas cru. J’ai bien vu qu’il était inquiet.

Jeudi 27 septembre 1973

Ce matin, j’ai cours de math, c’est une révélation. J’adore, surtout la géométrie. C’est d’autant plus surprenant que l’an passé, mes résultats pouvaient être lamentables. Mais depuis la rentrée, je me sens de mieux en mieux dans ce lycée. Je crois bien que le collège finissait par me déprimer. Le français, me convient également, je lis énormément, plusieurs romans par semaine, tout et n’importe quoi… En ce moment, je relis La Peste. J’ai envie de faire un exposé sur Camus, on doit proposer des sujets au prof. Ce soir on a une petite réunion avec le groupe, j’ai vu l’ODJ, cotisations, vente de calendriers pour améliorer nos finances, actions à envisager. Ma sœur me saoule avec Maxime Le Forestier, elle passe le 33 tours en boucle : toi le frère que je n’ai jamais eu…

Mardi 27 septembre 1983

J’ai de petits yeux ce matin. Benjamin a pleuré toute la nuit, sa molaire a dû percer. Je l’ai déposé chez la nourrice avant de rejoindre ma classe maternelle. Pour la première fois depuis la rentrée aucun de mes élèves ne pleure. Il fait un temps superbe. Une belle journée dans mon école rurale. Tout ce que j’avais prévu s’est bien déroulé. Je sens que je vais passer une année formidable. En fin d’après-midi, j’ai lu le dernier Ungerer : le Géant de Zéralda, les trente-deux paires d’yeux étaient suspendues à mes lèvres. Rien de plus délicieux que d’éprouver des frissons dans un coin bien douillet, au fond de la classe. Avant de partir, j’ai pris le temps de regarder leurs peintures. Des merveilles ! Ce soir, Stella a sa première réunion de parents d’élèves, elle va rentrer tard. Benjamin s’est calmé, sa nouvelle dent est bien visible.

Lundi 27 septembre 1993

Ce matin, il pleut. Un vrai temps d’automne. Mes stagiaires ont encore des têtes d’étudiants, l’éducation artistique semble les intéresser, tant mieux. La matinée passe vite. À midi, l’ambiance est détendue, leurs travaux sont plutôt réussis. L’après-midi, je dois rejoindre une école pour accompagner un projet d’artiste en résidence. C’est une première.

Je ne suis pas rentré trop tard. Isa et Benjamin m’attendent à la garderie. Isa est impatiente de faire sa lecture, Benjamin préfère aller s’occuper de son petit jardin. Stella a cours jusqu’à 18 h. Je ramasse les derniers haricots verts du potager et prépare le dîner.

Samedi 27 septembre 2003

Il fait encore très chaud, la canicule n’a pas dit son dernier mot. Hier soir, je suis rentré de Poitiers où je suis en formation pour l’année. Je découvre un nouveau métier. Benjamin nous a rejoints pour le weekend, je crois qu’il se sent bien aux beaux-arts. Isa entre en terminale et pour elle, tout roule. Stella croule sous les copies à corriger, l’année démarre sur les chapeaux de roues. Au marché, j’ai trouvé de quoi préparer une petite paëlla, tout le monde va se régaler. Cet après-midi, j’ai rendu visite à mes parents, j’ai bien vu que mon père avait vieilli, il est lent, de plus en plus lent. Maman s’inquiète, elle non plus ne va pas très bien. Ce soir, j’ai repris mon carnet de croquis et dessiné les dahlias du jardin. Nous avons dîné sur la terrasse, il faisait doux.

Vendredi 27 septembre 2013

La journée a été épuisante. Conflits, manifestations, délégations à recevoir. Articles de presse incendiaires. Les affres de la rentrée ! Tout devrait progressivement se calmer à partir de la semaine prochaine. Mon équipe est déjà fatiguée, je les ai réunis pour clore cette période intense. Les visages étaient tendus. On s’est promis de déconnecter tout le weekend. Au moment de partir, le grand chef m’a rappelé pour un cas difficile, il faut trancher. Ce n’est jamais simple, mais c’est fait. Cinquante kilomètres d’autoroute et je rentre à la maison avant 20 h. Ne pas oublier d’aller chercher du pain. Stella a bien supporté ses traitements, ses cheveux commencent à repousser. Elle a encore besoin de repos. Ce soir, j’appelle Maman, elle compte sur nous depuis qu’elle vit seule. Le weekend va passer vite, il faut profiter de chaque instant. Je n’ai même plus le temps de peindre.

A propos de Jean-Yves Robichon

Dans ma démarche, arts plastiques, photographie argentique et écriture interagissent, se conjuguent, se répondent dans une pratique continue, discrète et sensible. Ecrire comme des prises de vue, pour révéler, fixer, développer, jouer les passages négatif / positif, noir / blanc, ombre / lumière. Et surtout, pour raconter des histoires….

6 commentaires à propos de “27 septembre 1963…2013”

  1. Malgré les affres de la vie, ses douleurs, on perçoit dans ce texte une grande douceur, une vraie harmonie. Merci de ce partage

  2. Merci pour ces 27 septembre, et tant de délicatesse pour dire la vie, ses joies, ses douleurs. Ce texte est loin d’être ordinaire tant il donne à partager des petits et grands moments, comme si tout était là de votre histoire, du temps qui passe. Merci

  3. Et cette belle marge qui s’apprivoise et se conquière tout en douceur, s’enroule et revient abrupte sous la forme du temps qui file trop vite. Tout cela est si juste. Merci pour votre texte Jean-Yves Robichon

    • La question de la marge est au cœur d’une recherche que j’ai explorée dans le domaine des arts visuels. Dans le premier de mes 27 septembre, il y a cette scène originelle que vous avez relevée et qui, aujourd’hui encore, me revient en mémoire avec une étonnante précision.
      Merci pour votre lecture et votre analyse, si juste.