#40 jours #04 | Tirer des fils

Volée d’escaliers et déjà, l’aventure me saute au cou comme une fidèle amie, je descends les deux étages, marches que je connais par cœur désormais, depuis ces trois années que je vis dans cet appartement, j’utilise la rampe pour me laisser porter dans les tournants tout en dévalant les marches, et c’est un bonheur toujours nouveau, le corps qui plane l’espace d’un instant dans le flottement de l’air, et quand j’arrive à la porte, que mes pieds touchent la carpette de « Bienvenue », je sens toujours une satisfaction inexplicable : ici, c’est chez moi et je peux choisir quand j’y reste et quand j’en pars, mes allers-venues émanent de ma propre décision, ce lieu m’appartient (bon, je reste locataire, mais peu m’importe !) et j’appartiens à ce lieu, et je claque la porte une fois à l’extérieur non sans avoir soigneusement logé mes deux clés dans les deux serrures bien distinctes – l’une ronde, au-dessus, l’autre bien typique des serrures à crocheter, et je suis libre comme l’air, je peux humer cette journée ensoleillée, il fait très beau à Bruxelles, et j’ai terminé mes cours, le déluge des examens à corriger peut m’attendre une journée, de toute façon le premier n’arrive que demain, et je file à mon rendez-vous, rendez-vous galant, rendez-vous d’amour, « Rendez-vous ! » mais je n’ai d’ordre à recevoir de personne, surtout pas aujourd’hui, moi monsieur, je me rends où je veux maintenant parce que je le veux, et puis d’abord ce ne sont que de « simples » retrouvailles, je ne me rendrai pas, je ne déposerai pas les armes, car cette rencontre, je l’ai décidée, et cette amitié récente mais solide, a été forgée par la simple demande de ma (pas encore) amie (à l’époque) : « On va boire un verre ?  On se revoit ?  Jamais eu l’occasion de vraiment prendre le temps de discuter » car boulot boulot boulot, tu vois, et métro métro métro, dodo dodo dodo – syllabes abrutissantes comme cet oiseau disparu qui faisait tourner en bourrique la pauvre Alice, dans ses merveilles empoisonnées, et bam que je t’enjambe un immonde/dépôt urbain/encombrant, Dieu que ça porte bien son nom ça, « encombrant », dire qu’il y a une date précise pour aller « déposer ses encombrants », mais dans un quartier bien dévolu alors, pas ici, là, partout, nulle part, où je veux, en plein milieu du trottoir et vas-y que je te le balance sur la rue carrément, mon fauteuil sale, ou ces meubles cassés, poupées, sacs en plastique puants, aspirateurs, télés, et même parfois pire : ces hideux matelas jaunâtres, devenus pouilleux car s’imprégnant des eaux de pluie à répétition, sur ces objets morts, sur ces objets à espoir, qui attendent de ressusciter, une deuxième vie, être repris en main, pouvoir habiter un nouveau lieu ou vivre dans une autre ambiance mais attendre attendre attendre, toujours, et moi marcher marcher marcher progression à mon rythme sans m’arrêter rien ne presse aujourd’hui mais je veux continuer à marcher je sais qu’au prochain tournant je