#40 jours #07 | Descente

Tu es seul à présent. Ils sont tous partis, les amis comme les connards, les baisers comme les insultes, il ne reste que toi, avachi sur les pavés de la ville. Tu sens comme elle tremble sous ton poids, comme si elle était prête à t’avaler d’un coup. Tes jambes ne tenaient plus debout. Elles ont déclaré forfait, l’équilibre même a lâché l’affaire, alors tu gis, à moitié allongé sur le bitume. Ta bouteille à la main, les lampées qui réchauffent ton corps frissonnant. Tes mains celées, dans l’espoir d’un réconfort, un avenir, un salut. La tête appuyée contre le mur, tu revois les accolades et les fous rires de la nuit, la communion avec les tiens. Au jour naissant, ils se sont évaporés, tes frères, tes semblables. Et toi, au corps encore agité, tu t’accroches au liquide sombre comme à une bouée. Un miracle qu’ils te l’aient laissé. Pour un peu cela te ferait rire, cette situation presque grotesque. Mais ta mâchoire serrée t’en empêche. Les rayons du soleil s’acharnent sur tes membres disloqués. Consciencieusement, tu t’intoxiques pour anéantir la bête en toi, plonger de l’autre côté, pour lui échapper. Les forces te manquent, tu ne sais pas combien d’heures ont passé, combien de kilomètres tu as marché. Mais tu reconnais le réveil de la bête, tu la sens. Elle est là fraîche et disposée, elle se s’étire dans ton corps trop étroit pour elle. Sa langue rose s’aventure sur tes plaies. Si seulement tu pouvais dormir, éteindre la machine d’un coup de télécommande. Tes mains saisissent plus fermement la bouteille, pas glisser dans ce trou d’ombre. Que chaque rasade anéantisse toute cette guerre que tu as déclaré à ta vie. Autour de toi et de ton corps dont tu ne sais que faire, des jambes qui marchent, des membres qui se déplient. Tu t’enfonces dans les pavés mouvants. Le sol t’aspire. La pierre qui était si douce devient glissante et visqueuse, tu peux à peine te retenir de basculer. Les jambes avancent et reculent, reproduisent une décalcomanie du même mouvement : passer et repasser. Jambes noires, jambes bleues, jambes nues, jambes. Des jambes qui s’infiltrent par tes cavités oculaires et qui n’arrêtent pas de marcher d’avancer et de reculer, une jambe suivie de l’autre et puis encore une. Une qui parfois s’arrête, toujours suivie d’une autre, sa jumelle, presque identique, et encore une autre qui s’approche, te regarde, te menace. Tu as le souffle coupé, l’estomac rétracté, la bile qui remonte dans l’œsophage. Tu gémis, recroquevillé, assommé. Ton corps, parcourus de tremblements, n’a plus la force de réagir. Des larmes s’échappent, mais la douleur reste. Si seulement, tu pouvais attraper la bouteille. Elle était là, tu la sais à quelques millimètres à peine. Mais il y a toujours ces jambes qui te regardent et qui même te demandent : est-ce que ça va.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

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