#40jours #10 | la chair n’oublie pas

librairie Dalby

Je ferme les yeux, fort, si fort que mon front se plisse et les maxillaires durcissent. Je sens les maxillaires sous les pouces et le front sous la pulpe des autres doigts. Mes coudes sont posés sur la table. J’essaie de me souvenir ce qui me travaille à l’estomac de ce passé. « Pourtant, rien ne vient. Un peu de vide et puis c’est tout ». En moi, un balancement, contrôlé par mes mains qui me tiennent la tête (sinon, la tête, elle irait péter des grands coups de front sur la table), tente d’accoucher de la mémoire des lieux, de la mémoire des noms. Je vois des visages, je vois des rues que je ne sais plus nommer. Un chat sur un corps, sur un canapé, dans un appartement, dans quel immeuble de quelle rue? Je sens encore l’émotion, là-bas, mais où ? Je ne sais plus. Et ça me secoue. Même les lieux, je suis en train de les oublier. Impossible d’y aller. Plus de cartographie, même sommaire. Un plan ne me servirait à rien pour retrouver la trace des sentiments. Je serre les dents. J’inspire. Rue Roger-Salengro, rue des frères Chappe, place Marengo. Ces lieux sont fourbes, ils m’attachent là où je ne veux pas aller, ils me coupent de ce que je recherche, que je veux retrouver, plus au nord de la ville qui s’efface au fur et à mesure que je me vois y aller, que je m’imagine m’approcher des fantômes qui m’y appellent, encore un peu plus au nord, à peine plus, juste après la gare, que j’ai oubliée aussi. Et je chiale du trop de réalité perdue.

3 commentaires à propos de “#40jours #10 | la chair n’oublie pas”

  1. Etrange machine qu’un corps qui se souvient et ne restitue rien, sauf du mal-être. Il faudrait creuser davantage, insister, regarder des photos, mais pour exhumer quoi ? Des souvenirs qu’on voudrait oublier ou qui nous ont oublié.e.s. C’était pourtant pas loin, sur le bout de la langue ce qu’on a plus envie de taire que de raconter. J’ai fait tout le contraire de vous. Tout est venu d’un coup, avec les trous de mite et les émotions refroidies, certaines plus que d’autres. Merci pour votre texte.