# 40 jours – #11 perdu | je ne te reconnais plus

Si je bifurque ici, peut-être que je saurai. A force de regarder en arrêtant le corps, à hauteur de plan américain, je saurai retrouver une plaque, un porche jaune à Ferragus, une ombre portée comme un sourire, qui t’enlace et te perd, à marcher les yeux partout, crois reconnaître un abribus, cette station essoufflée dans une chaleur de ville, presque endormie, si lente à mourir dans la nuit, un hérisson tout patapon égaré lui aussi, le dos ondulant sous des bégonias, sa truffe de chien, son corps de petit ours brun, et les souris vivantes le long des murs, elles courent elles courent en mulots de campagne, ça fait des heures que je tourne dans le quartier, pourtant impossible de retrouver la Tour Jean Bouin, à se taper la tête contre les nuages, avec en-dessous les trous énormes des trottoirs, on dirait des accidents de bétonneuse, alors tu choisis de marcher directement sur la route, c’est plus lisse mais tu ne trouves pas, la vieille et folle Seine-et-Marne, ses chansons à boire et à chanter, le supermarché Continent, avec ces jeunes dans le couloir qui t’aident à porter tes packs d’eau, comme si les jeunes s’étaient planqués dans des magasins étroits, boutiques à internet où tu peux jouer en ligne en faisant tout le bruit que tu veux, tu ne retrouves rien, comme s’il n’y avait plus de continent, plus de tour à quinze étages, et la mémé du rez-de-chaussée, toujours à sa fenêtre qui te fait des signes, se plie contre le volet en plastique pour cueillir tes confidences, qui cherche dans ta bouche le moindre pli en plastique de ta souffrance, qui te travaille aux yeux, qui sourit enfin quand tu dévoiles un peu de ta poussière interne, et puis toi tu dévales la pente de ses bras, tu l’écoutes un peu, le mal de jambe à se perdre dans les rues, elle non plus, ne se reconnaît plus. Alors s’arrêter en plein boulevard, se retourner sur le chemin parcouru, rentrer dans une épicerie arabe, acheter des cerises et des cornes de gazelle, prendre un verre de thé avec Ahmida, se quereller sur le monde, l’émietter dans un biscuit, le presser, l’étirer comme un morceau de fromage, et sortir dans la rue quand il fait moins chaud, et qu’on voit se trimbaler, oisifs et graves, des bandes de jeunes qui ne cherchent plus rien.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

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