#40 jours #13 | nuance

vingt-trois juin

c’est une enveloppe pleine de trous, indéfinissable de ton – ça change tout le temps, sans doute même avec l’humeur – elle change d’aspect et c’est bon – par exemple j’adore cette façon qu’on a de tout à coup ressentir quelque chose qui vous envahit, je ne sais pas, la honte ou la surprise et bing ! – encore qu’en parler dans ce sens indique que, justement, elle prend cette teinte-là parce qu’elle en dispose d’une qui permet de percevoir le contraste – l’enveloppe se hérisse – je me souviens, j’allais en maillot de bain je devais porter un chapeau de paille ou alors j’ai rêvé, c’est possible, j’ai dû rêver mais j’ai (un peu) depuis cette habitude (depuis que ce sont des objets faits de carton dont on peut disposer un peu n’importe où, dans les endroits où il fait chaud et que le soleil tape) cette habitude d’en acheter un (5 euros au plus) en début de séjour (il faut que le séjour soit suffisamment long, sinon, c’est non) tu te souviens sur la place Syntagma, deux heures du matin, sortant du bus venant de l’aéroport, l’officine le kiosque la boutique minuscule qui vend tout, du coca et des chips des foulards des biscuits et celui-là, le ruban bleu, tu te souviens – un chapeau qui protège, c’est la nuit, on va chercher où dormir, sacs manches relevées chemise ouverte respirer

Syntagma huit heures et demie du matin

– respirer a toujours été une affaire difficile mais seulement sur ce continent, sur le précédent y penser il n’en était même pas question : il suffisait de regarder le blanc qu’ils avaient collé aux arbres, à mi-tronc, alors il n’y avait pas de trottoir pour marquer les limites de la route mais aujourd’hui, soit ils les ont peints en blancs, soit ils ont alterné du rouge puis du blanc, puis du rouge puis du blanc – à quoi ça sert ? – il suffisait de vivre, simplement, tandis qu’ici, on avait à faire attention – attention justement à cause de ce blanc-là qui n’en est plus un, d’ailleurs ça n’en est jamais un, ca bouge, ça fluctue, ça change, cette teinte-là, cette fragrance de couleur, c’est dû au soleil, c’est pour ça le chapeau aussi, cette distinction, on la voit tout de suite elle est là et s’impose à la vue (évidemment, pour les aveugles c’est autre chose) immédiate et fondamentale – différente – marquée – indélébile encore que : nous étions dans le train qui va à Sintra c’était l’époque où les journaux gratuits étaient distribués à l’entrée des gares ou des métros et c’est là sur une banquette, ce gratuit dont toute la page était prise et barrée de cette image, sa photo il venait de disparaître, mort c’est incroyable mais oui, mort mais comment il n’avait pas cinquante ans ? Comment ? Enfin si, il les avait les cinquante ans, et voilà – on a continué notre chemin mais il y avait quelque chose qui faisait mal dans cette mort, peut-être en partie parce qu’il avait voulu changer et de visage et de la couleur de cette peau, cette façon de mourir, overdose ou quelque chose, on écoutait en dansant assis dans la voiture son Billie Jean en partant en vacances dans la 4L rouge – où allait-on, déjà, tu te souviens, en Bretagne ? – oui rouge comme quand on perçoit quelque chose chez l’autre et qu’on se sent découvert, ou à découvert, quelque chose du pigment, ça pique un peu, on en rit souvent puisqu’on indique par là quelque chose de soi (enfin avec les ami.es) on dit familièrement qu’on pique un fard, c’est justement ça le truc cette façon de varier, c’est cette enveloppe-là, qu’on dit blanche mais non, cette teinte-là qui avec le soleil, tu vois, ça fonce plus ou moins, on dit que les personnes qui l’ont rousse, on dit des taches de rousseur (c’est tellement mignon aussi) on dit que non, elle rougissent, oui, mais c’est tout, ça s’arrête là, mais moi par exemple non très vite deux jours peut-être – sans que l’astre ne me cogne et me donne de ses coups – elle prend une autre teinte et ça ne cesse pas tant que je reste au soleil, ça continue, si je porte une montre en bracelet (ce que je fais souvent) on peut en déceler la trace quand je l’ôte – comme celle du maillot de bain – cette teinte qui te fait immédiatement classer quelque part par les abruti.es – ou pires les ordures, on vient d’en voir qui entrent à l’assemblée nationale – cette assemblée-là qui est censée nous représenter, nous, nous tou.tes – cette façon de faire, cette image qu’on donne aux autres, le portrait et tout de suite dans le meilleur des cas : « vous n’êtes pas d’ici vous non ?  » – la teinte, le ton, la nuance

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

7 commentaires à propos de “#40 jours #13 | nuance”

  1. Tu as magnifiquement dissout la consigne, la couleur est partout et ne cesse de changer de « sens » et d’importances, du plus petit détail de pigments aux considérations politiques, ça réveille !

  2. J’ai bien aimé ce voyage parsemé de couleurs celles qu’on voit et celles qu’on ressent, celles qu’on ne maîtrise pas… Merci Piero

  3. Déambulation voyageuse dans les traces
    les couleurs, fugace légèreté
    cette malice qui fomente un grand départ tout près, on aime
    être tapis dans cette enveloppe qui déploie tout cela

  4. Rétroliens : #40 jours #14 bis | viscères – Tiers Livre | les 40 jours