#40 jours #27 C’est quelle origine, ça?

C’est quelle origine, ça?
Tu t’es encore vexée.
Pas vexée, non, pas question d’amour-propre de fierté. Mais ce ça. Qui revient dans leur question. Moi comme un ça ayant une origine.
Le ça des choses.
Le ça d’un tout qui est cette personne qu’ils croient tenir dans les crochets de leur question. Pas le vous ni le tu. La troisième personne de ce qui est autre, en dehors de l’humanité. Oui, la chose. Chosifiée dans leur ça.
Mais ils parlent du nom. Ton nom.
Ça, le nom. La marque, la trace. Qu’est-ce que ça? Ce nom. Je m’appelle ça. Je suis cette trace qu’ils discernent en moi quand je leur dis mon nom, puisqu’ils me l’ont demandé. Nom? Ça.
Ils t’auraient démasquée?
Ce qu’ils croient, quelque chose caché dans le nom. Le ça dans moi à dévoiler. Léger froncement de la peau du front, les paupières se rapprochent, sourire à peine et le ton de leur voix. Leur question au fond n’était que pure politesse. Voix chantante tandis qu’ils font mine de regarder ailleurs, le papier où ils écrivent le nom. Ils s’intéressent à moi mais avec distance : leur bienveillance.
Fin de l’anonymat. Ils t’auraient mise à nue?
Le nom et la chose : ça qui est moi. Font semblant de poser leurs yeux sur mon visage comme un courant d’air d’été, comme on voit sans regarder. Mais.
Je sais ce que tu vas dire : les indices.
Les signes de la concordance du ça-nom au ça-corps réduit au visage. Les traits de la figure, leur homologie aux sonorités du nom. Ils rassemblent les indices, ça doit correspondre.
Souvent ils se trompent.
Leur catalogue des origines. Le nom le visage, c’est quoi ça? Il déroulent le catalogue mental, cherchent la case où loger cette évidence cachée qui est moi. Dans leur insouciance feinte bouillonne l’inquiétude. C’est le ça qu’ils questionnent. Leur inquiétude. Pas de tranquillité dans l’incertitude des origines du ça, ce moi qui se tient devant eux empli des mystères du nom.
Une histoire les rassurerait.
Étiqueter. Même s’il ne connaissent pas. Là-bas. C’est où, ça? Situer le ça du nom dans le ça de l’origine. Un coin de planète, une histoire oui. Une famille. C’est français l’obsession des origines. Ramener chacune en arrière, au point de départ.
Ils sont souvent déçus.
Lieu géographique insertion familiale inscription religieuse la complexité des éléments qui composent ce qu’ils nomment : ça. Comme si d’où vient mon nom pouvait dire qui je suis. Le sang, une lignée, un voyage ça laisse des traces dans la peau. Le recul jusqu’à…
Parce que tu ne réponds pas.
Tous les ça sont comme ça. Généralité qui n’est pas mon individualité. Répondre quoi? Mon nom dit que je suis d’ici. De cette ville de banlieue. Née à l’hôpital intercommunal grandie à l’école du quartier. Je ne suis pas leur ça. L’étrangère chosifiée qu’ils font tourner sous la lampe de leurs questions. L’élément hétérogène dans la pâte de la ville : un grumeau à résorber.
À extraire?

A propos de Juliette Keating

Vit et travaille en région parisienne. Autrice, elle a publié un roman "Awa" (éditions le Ver à soie), un recueil de portraits de jeunes gens illustré par Béa Boubé "Blaise, Léa et les autres…" (éditions Libertalia) et deux romans jeunesse (Magnard). Contributrice à la revue culturelle délibéré.fr.