#40 jours #33 | (pas de titre)

La maison d’arrêt salle d’attente à expulsion, elle y travaille, elle s’occupe des papiers pour eux.Trois resquilles dans le train et c’est bon. On les arrête pour les expulser plus facilement. C’est son travail, Elle sait. Tu l’écoutes. Inquiétude? Effroi. La fouille à la couleur quand tu passes, eux sous les affiches de la gare qui arbore les peaux Pantone. Effroi et puis quoi, quand tu passes. Elle s’est assise face à toi, vous buvez. Le viol comme arme de guerre, elle dit. La torture, elle dit. Elle a travaillé au tribunal de La Haye. Longtemps. Les crimes de guerre c’est son travail. Elle ne dort plus. Inquiétude? Effroi. Tu l’écoutes. Est-ce qu’il existe une guerre propre? Inquiétude. Effroi quand elle dit: on torturait. C’était nécessaire. Parfois. Qui le dit? Et être toujours du côté de celui qui est attaché. On les attache pas aussi les monstres? (torturé s’il l’a fait). Inquiétude. Effroi. Abandon. Repli. Les tentes Seconds dans les ordures: tu as compté les tentes sous le métro aérien? Des chiffres. Des faits. Elle t’explique. Elle vient ici presque tous les jours. Et toi? (tu as tellement chaud). Inquiétude? Effroi? Deux jambes nues dépassent. Des sacs. Restes de sandwich. Épluchures. Rognures (on étouffe ça pue), des nuées de pigeons s’empiffrent et tu penses à elle derrière sa caisse. Tu y vois quoi comme rapport? Elle, La plus âgée de la glacière Carrefour City, une jeune vieille les mains emmitouflées. Été, hiver la blouse, les gants, l’écharpe. Ici la clim gèle le corps été/hiver. Et sa petite baguette pour taper sur l’écran le code qui ne passe pas, la seule à faire ça — une douleur au bras ?— sourires et quelques mots. Les jambes nues de la rue et les gants de laines de la glacière carrefour City même la guerre, les mutilations, la famine, les expulsions… tout ensemble. C’est quoi dans ta tête? Inquiétude. Effroi. Il fait combien à l’ombre? J’ai chaud. Tu y penses à elle quelques fois. Inquiétude? Effroi? Le poissonnier du super U de Ré il est mort, 44 ans, c’est trop tôt, mais tout le monde meurt, c’est comme la guerre, il avait trouvé un travail, c’est pas de chance, autopsie, le cœur, seul dans sa chambre, ici, et la famille sur le continent, 44 ans. Tu l’écoutes elle y travaille au Super U, elle l’aimait bien, il en savait sur les poissons et tout ça, la vie. Et P. qui est morte. 32 ans, des semaines, la douleur, et ses yeux verts, tout verts par dessus le masque, qui regardaient. Quoi? la mort et puis toi. Effroi. Colère. C’est toi qui a peur. Inquiétude. Colère elle me dit, colère jamais retombée. Je n’accepterai jamais. Quoi? la mort, elle me dit, la sienne, sa mort, la mort, la guerre, là bas, la rue, elle me dit. Là sur le trottoir c’est qui? On ne voit pas bien. ( il fait chaud). Elle ou lui? elle demande. Inquiétude? Effroi? et à côté c’est qui?

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

11 commentaires à propos de “#40 jours #33 | (pas de titre)”

  1. La distance et tout ensemble la proximité installées par le jeu des personnes grammaticales dans ces situations inquiétantes et effroyables donne beaucoup de force à ton texte. Merci.

    • Merci beaucoup Laure. (Cette proposition j’ai eu envie de la laisser de côté… et tenter d’affronter son impuissance )

    • Merci Xavier de me dire que ça va quelque part je ne m’en rends pas compte. Je vais revoir les choses sous cet angle. Merci

  2. Terrible force. Terrible mise ensemble de tous ces fragments du réel qui nous endeuillent chaque jour un peu plus. Fleuve des maux qui ne laisse rien oublier.

  3. Sans merci. Il m’est impossible de vous dire « merci » Nathalie Holt pour ce texte sans titre. Sa force est telle qu’il fait mal, qu’ïl torture, tourmente, endeuille, triture dans nos plaies.Ne dites plus jamais que vous êtes mal à l’aise avec le réel. Si c’était le cas, vous n’attraperiez pas ses fragments que votre écriture apprivoise comme des bêtes sauvages qui viennent nous sauter à la gorge et crever les yeux.

  4. Terrible texte, si ancré dans le réel et malgré tout si poétique.
    La force de tes mots me touche au plus profond.
    Merci Nathalie !