#40jours #34 | de plus en plus méchant

Une sueur âcre dégouline sang noir, tisse sa toile le long des poils drus et noirs, il en pisse de rage, creuse le sable blanc de l’arène, la croupe redressée tandis qu’il penche face à la foule dressée dans sa chaleur de foule, nous en sommes là, autour de lui, tandis que le tourneur échafaude une stratégie pour lui indiquer des directions opposées par signaux francs, tranchés de gueulantes « ho !! ho !! », il bave et sue de sa sueur septentrionale, l’œil giclant noir de jais, sublime œil de nacre noire, son poil noir par dessus toute sa rage d’en finir, avec les rasoteurs prêts à en découdre, d’un coup de lame lui faucher la ficelle, la cocagne qui les fera riches, riches et insoumis (comme le sont les riches, les éclatants). Mais nous ne pouvons réagir pour lui, nous sommes dans l’arène de l’autre côté, face aux rasoteurs blancs – tout de blancs vêtus, faux purs de gigogne, sautant par-dessus les barrières à grandes enjambées, jusqu’à ce que le taureau, à force de bonds partout veuille les suivre de l’autre côté, escalade la barrière, se rue par-dessus bord pour cavaler après les jeunes, Bilal, Ali, Fernandez, tous issus de l’école de la vie, avec leur moniteur dressé devant eux qui parvient à immobiliser la bête (signaux contraires, fascination des contraires) quand les jeunes de gauche comme de droite giclent de tout côté et tentent le tout pour le tout, arracher la cocarde, échouent bien souvent, gratte le front de la bête, échouent bien souvent, s’élance par-dessus l’arène, vole droit devant, bras tendu, s’incurvent, projettent, un bras, un rasoir au bout, échouent le plus souvent, le costume blanc (de la sorte, on voit qu’ils se blessent, mais d’autres disent qu’ils souffrent moins du soleil) se granule de beige et de sable gorgé de sueur, échouent le plus souvent. Et nous dans l’arène, nous crions, nous sommes époustouflés, avec les soixante élèves de Sevran-Beaudottes dans cette arène gigantesque de Nîmes, où tous les chanteurs de rap se succèdent et dansent à foison mais tard le soir après les bêtes, quand l’après-midi c’est le cagnard absolu sans la moindre réverbération de lumière, tout est imprégné de soleil, jusqu’aux poils ardents des animaux. Nous crions, et une vieille dame au teint halé, vigoureuse empoigneuse, se penche sur nous, il a intérêt à se montrer méchant, vindicatif le taureau hein, parce qu’avec le temps vous savez, il ne sert plus à rien, s’il devient de plus en plus gentil. Il va à l’abattoir. Nous observons la bête qui observe la foule, et nous nous sommes mis à prier, pour qu’il devienne l’enfer la bête, la braise sur terre, alors qu’elle ne bouge plus, la bête elle nous jauge, sans croupe debout, sans patte racleuse, à pisser encore le long de ses pattes, et là, peut-être elle comprend, à voir le public l’acclamer et se tordre, qu‘il faut planter des guêpes dans les yeux des hommes, les enfoncer profond comme on rentre une tige dans la gorge, rutiler de puissance et de cruauté jusqu’à les piétiner, les ensevelir de sable et de poussière, jusqu’à crever leur plaie et leurs os moins que rien, leurs dents leurs broyeuses, un pied une corne dans la bouche qui crie.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...