#40 Jours # 35 | brûler

un homme bob en tête marche vers Carthage : au deuxième plan, la lagune dite lac de Tunis

Il paraît qu’il se trouvait là, sur cette colline nommée Byrsa, aux avant-postes plus ou moins de son armée. Il paraît que l’histoire est toujours racontée par les vainqueurs. Il me semble que, ces temps-ci, est-ce effet de l’âge, du temps déjà ourlé sur cette planète immonde, cause du passage de l’autre côté de l’eau, sur l’autre rive, celle de la civilisation, de la vraie culture de la vraie langue et des vraies conventions, il me semble que le goût pour la discipline scolaire dite histoire (et de son pendant inaliénable, dite géographie) se terre mais croît dans mon esprit tortueux – avant hier, j’achetai le Comment on écrit l’histoire du prof collégien français Veyne (Paulo) (j’en lus quelques dans le jardin aux oliviers), du même geste (avec des chèques lire peut-être, mais du même geste) un Kemal Atatürk d’un obscur historien d’un an plus âgé, né dans le dix-neuf (par essence, l’historien est obscur, comme on sait : on le voit gravir les marches des bibliothèques en claudiquant, dans les couloirs heurter pratiquement son énorme tête contre les murs), il y avait sur la table à finir le Brève histoire des empires sous-titré Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (appartenant à Zouzou) – enfin je me documente comme il se doit sans doute, mais point sur ce Scipion-là, qui, sur cette colline dominant la destruction par le feu de la ville ennemie, ne sait pas qu’en ces lieux-mêmes sera, par la suite des siècles, érigée une cathédrale, car continuellement, on bâtit, dédiée à celui qui, sous un chêne dit-on, administrait la justice de son royaume (on poserait bien une majuscule à cette disposition, mais enfin restons-en au passé). Ici même donc, et comme un peu partout, ici dans notre ville, on bâtit continuellement. Et Émilien (le fils de l’Africain), ce Scipion-là donc se trouve sur le faîte de cette colline, il a fait bâtir (continuellement) une enceinte dont on peut citer (par exemple, emprunté au wiki article bataille de Carthage, 149-146 avant notre ère) (par exemple) :

"Maître de tout l'isthme, il [Scipion Émilien] fit creuser une tranchée d'un bord de la mer à l'autre, séparée de l'ennemi par la distance d'un jet de javelot… sur un front de 25 stades (4,5 mètres). Quand cette tranchée fut finie, il en fit creuser une autre de la même longueur, à courte distance de la première, regardant vers l'intérieur des terres. Il en fit alors faire deux autres, à angle droit avec les précédentes, de façon que le fossé dans son ensemble dessine un rectangle, et il les fit tous équiper de pieux pointus. En plus des pieux, il fit aussi garnir les fossés de palissades, et le long de celui qui se trouvait face à Carthage, il fit construire un mur de 25 stades de long et de 12 pieds (3,6 mètres) de haut, sans compter les merlons et les tours qui surmontaient le mur à intervalles réguliers"

Ajoutons-y, s’il te plaît, la carte de l’endroit

et mentionnons que ces mots nous viennent d’un Appien d’Alexandrie (historien romain, du premier siècle de cette ère, donc) (il ne fait pas de doute que les citations alourdissent, le propos, autant que les notes de bas de page que je réintègre pourtant ici, car il s’agit d’un atelier)
Il paraît qu’il se trouvait là, et que le feu ravageait les lieux – il y eut une soldatesque et un mercenariat, à n’en pas douter (très probablement mâle), qui dut officier à l’établissement de ce feu de joie (ainsi qu’il y eut (c’est une autre histoire, mais c’est quand même la même) une milice et une gendarmerie (elles aussi, très probablement et presque uniquement, masculines) aux début des années quarante du vingtième siècle (est-il plus maudit que les autres?) de cette même ère pour rassembler et envoyer où elles le savaient bien des milliers et des millions d’individus semblables à eux-mêmes) (laisse, va) (je vais).
Il paraît qu’il se trouvait là, ce Scipion Émilien, et qu’à sa droite se tenait son aide de camp, son fidèle bras droit, un ami un combattant courageux et céleste, droit en armure la pourpre et l’or les ornant, et que devant ce spectacle (était-ce bien un spectacle, ce qui se déroulait sous ses yeux, ce qu’il avait ordonné parce qu’on le lui avait ordonné, parce qu’il faut toujours, et de tout temps, pour bâtir et construire d’abord et détruire et tuer) devant ces flammes qui ravageaient cette péninsule, il paraît que cet Émilien-là, fils de son père surnommé africain, dans ces odeurs portées par les vents, ces fumées noires et puantes, ces miasmes et devant toute cette purification, au bout de ces trois années de siège, à la fin de ces supplices et de ces amas de morts et ces rivières de sang, versées, bues, oubliées et perdues qui marquaient la victoire, enfin, la victoire, il paraît que ce Scipion-là, il paraît qu’il pleurait

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end