# 40 jours # 7 : catabase

La métropole s’étend jusque dans ses sous-sols. Le nom inscrit en grandes lettres vertes rappelle que l’espace urbain trouve sous terre ses prolongements et offre des possibilités de voyages souterrains, c’est le métropolitain.

Laissez-moi dire impunément tous les secrets cachés et enfouis dans l’En-bas.

Sur le trottoir, le sol goudronné s’ouvre et découvre un escalier gris très étroit qui descend à pic. Il est largement emprunté par une foule qui arrive de partout.

Le roc bée largement, et dans cet antre immense un gigantesque abîme ouvre sa vaste gorge, large route accessible à toutes les peuplades.

La lumière du soleil nous suit encore quelques pas mais on devine vite celle, artificielle, des néons tout en bas qui percent l’obscurité.

La voie d’abord n’est pas aveuglée de ténèbres, un peu du jour laissé derrière soi y tombe.

Le premier tunnel s’étend à perte de vue et ne montre encore aucune issue.

Puis, c’est un large espace à l’infini, un vide où tout le genre humain englouti se perdra.

La foule s’y presse, véritable marée humaine, elle s’étend et s’enfle dans une vague ininterrompue. On pourrait manquer les bifurcations et ne pas pouvoir revenir en arrière.

Le chemin vous entraîne, tel souvent le courant prend les nefs malgré elles, l’air descendant vous pousse et le Chaos vous tire.

Plusieurs voies s’affichent mais, une fois dans la rame, on est embarqué encore plus profond dans des tunnels noirs sans aucun paysage, sans aucun repère.

Dans cet immense gouffre le retour, en maint pli, courbe les eaux dormantes sans qu’on sache où il va.

Une odeur aigre frappe les narines, une odeur d’égout, une odeur de charogne.

Là stagne le marais fétide du Cocyte.

La nature est bannie ; le gris décline à l’infini ses mille nuances mélancoliques.

Non, pas de pré riant où germe la verdure, de doux zéphyrs ridant la moisson mûrissante.

Aucune végétation ne pousse, on chercherait en vain la vie là où la lumière du dehors ne peut jamais percer.

Le sol d’En-bas croupit stérile, abandonné, la terre affreuse y dort en jachère éternelle, lugubre fin de tout, terme ultime du monde.

On est transporté sur des tapis roulants qui décident de la direction à prendre. C’est un flux à sens unique qui nous serre les uns aux autres.

Nul ne peut remonter ce torrent.

La lumière se raréfie toujours plus dans les nombreux goulots qu’empruntent les métros. Quand elle s’éteint subitement à l’intérieur de la rame, les regards se cherchent et s’affolent. On craint d’être définitivement enveloppé par cette nuit.

Un chaos dense en d’affreuses ténèbres règne, une nuit à l’horrible couleur, muette, inerte, et de vaines nuées.

On est happé, projeté, dévoré malgré soi.

La foule entière errant par tout le globe y descend.

Comment échapper ? Le vrombissement terrible, obsédant nous enveloppe, nous envahit. Nous habitons désormais l’espace souterrain.

Nous sommes prêts, Mort, épargne qui vient, attarde-toi : c’est nous qui nous hâtons.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.

3 commentaires à propos de “# 40 jours # 7 : catabase”

  1. Bonjour Olivia
    Jusqu’à lire ce texte, je ne me rendais pas compte de l’enfer du métro.
    Tout est juste dans ce balancement des deux textes.
    Je suis admiratif !
    Merci pour ce beau moment de lecture.

  2. Sénèque visionnaire. On oublie la beauté de ces textes anciens. Merci pour le commentaire !