#40jours #08 | Hôtel Terminus

J’ai accompagné quelqu’un prendre un train. Je descends les escaliers de la gare Saint-Charles. Je suis seule face à la ville, son paysage par cœur, les toits, le ciel, la basilique sur la colline. Le froid fait pâlir la couleur du matin. Cinq avril. Le thermomètre tout à l’heure affichait trois degrés. Je profite du soleil sur les marches. Devant moi se soulèvent les façades du boulevard d’Athènes, qui pas à pas me dérobent tout le reste, jusqu’à devenir mon seul horizon. L’hôtel à l’angle s’appelle le Terminus. Son restaurant, le Grand Escalier. J’emprunte le boulevard. Je suis à l’ombre, j’accélère. L’Izmir kebab est fermé. Je ralentis pour observer la façade du centre de documentation pédagogique « Canopé », ou plus exactement celle de l’ancien hôtel Splendide. La splendeur est passée. Sur ses lignes anguleuses, la peinture s’écaille et la pierre est noircie. Derrière les grands panneaux vitrés du rez-de-chaussée, une lumière fade de néons est allumée, une grille déroulante barre encore l’entrée. Tout autour les rideaux son baissés, les voitures sont rares, les passants aussi. Rien de l’heure de pointe. Je pense à Varian Fry, qui séjourna ici à son arrivée à Marseille en 1940. Il était envoyé par le Comité américain de secours pour tenter de sauver de l’enfermement ou de la mort les intellectuels et les artistes menacés par les nazis. Je pense aux attentats de la Résistance, au même endroit, quelques années après, qui déclenchèrent une répression féroce et furent le prétexte de la destruction des quartiers du Vieux-Port. Mes pensées reviennent au présent quand je vois un homme ranger pour la journée un matelas de mousse. Sa femme porte un voile coloré, elle a un enfant dans les bras, un autre la suit. Des couvertures sont entassées dans un creux du bâtiment.
Où sont les autres gens ? Que fait Marseille un mardi à 8 heures du matin ? Quelle est cette ville sans activité ?

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

7 commentaires à propos de “#40jours #08 | Hôtel Terminus”

    • Oui, les allers-retours ou plutôt les digressions temporelles que nous emportons quand nous nous déplaçons dans des paysages depuis longtemps fréquentés ou rêvés.

  1. Marseille au matin. Tout ce qui va se déplier.
    Moment suspendu qui fait place à l’histoire.
    Merci pour ce beau texte, Laure