#40jours #08 | rendez-vous

Quand elle me donnait rendez-vous à la piscine je devais prendre le métro et de la station, un bus qui traversait le vieux centre ses rues aux maisons basses noires et délabrées avant que jaillissent du macadam de hautes tours dont les finitions laissaient déjà à désirer, coulures noires sur béton gris, graffitis sur les murs, tourniquets tordus, carrelage de façade édenté, la piscine bâtiment bas comme un enfant mal poussé parmi ces géants. Autour du bassin les murs vitrés donnaient vue sur cette forêt d’immeubles. Quand elle me donnait rendez-vous chez elle, je sortais du métro et montais un escalier pour prendre la passerelle qui longeait les boucles complexes de l’échangeur sous un grand pan de ciel, le souffle des moteurs y étant incessant. Au bout de la passerelle j’empruntais un autre escalier, je passais entre les Mercuriales qui abritaient sans doute des bureaux à l’époque par une rue fendue d’un terre-plein herbeux, le centre-ville n’était pas bien gai en dépit de la pimpante mairie style Louis XIII en briques rouges et blanches, je passais devant l’unique magasin de la rue, une boulangerie-pâtisserie plutôt bonne, quelques immeubles sans faste, un café tabac PMU qui ne désemplissait où l’on croisait souvent un sosie de Michel Sardou qu’on surnommait d’ailleurs entre nous Michel Sardou. Le tabac faisait le coin avec la rue la plus commerçante (la pharmacie la droguerie le teinturier le magasin d’optique) qui débouchait sur la chevaline avec son enseigne en tête de cheval et sa façade en mosaïque sang) son appartement était deux étages au-dessus des pompes funèbres. L’escalier était peint en trompe-l’œil imitant le bois sur les lambris et le marbre au-dessus). Je frappais à sa porte en bois verni, celle de gauche, la sonnette ne fonctionnait pas. Quand elle me donnait rendez vous pour une balade on descendait la rue commerçante jusqu’à la chevaline et on la remontait au-delà de la rue Sadi Carnot. On longeait une butte herbeuse avant de parcourir des petites ruelles qu’on adorait, toutes construites comme ça pouvait de Sam’suffit de plain pied qui semblaient à croupetons et se soutenir les uns les autres sur une petite colline. Ces baraques avaient toutes un jardinet potager où même les tulipes s’alignaient en rang d’oignons parmi de nobles cygnes des Bambi en plastique et des poules bien vivantes et caquetantes. On lisait leur noms tous pleins d’idéal, la villa Gabriel, chez Léon et Jeanine, à Nous Deux, Bel Acceuil, La Roseraie, Sérénité, Mon Cabanon, Au bout d’l’impasse, MonTrésor, la Provençale, et des chiens de tous poils se jetaient violemment contre les barrières en hurlant à notre passage. Quand elle me donnait rendez-vous pour un ciné, on remontait la rue à droite de la mairie, le Cin’Hoche avait une programmation d’enfer et pratiquait des prix dérisoires, on y a visionné tous les Fassbinder, et les premiers WimWenders avant d’aller siroter un thé chez elle. Boire ne serait-ce qu’un café au tabac PMU qui n’avait pas beaucoup de places assises ne nous est jamais venu à l’esprit, on y pénétrait uniquement pour se payer nos Gauloises blondes. Quand elle me donnait rendez-vous au radar géant pour acheter de quoi déjeuner, elle m’attendait à la sortie du métro, on traversait une rue très passante qui passait sous une des branches de l’échangeur, on déambulait sur un carrelage sale entre des rayons de bouffe industrielle où l’on peinait à trouver notre bonheur entre des tomates sans saveur et des pêches dures comme du bois, on se rabattait sur un sac de chips et une tablette de Suchard lait noisettes. Quand elle me donnait rendez-vous pour une virée aux Puces, on dépassait le radar géant on passait sans s’en rendre compte la frontière d’avec la ville voisine tout aussi riante. Après les bouchers hallal qui mettaient en devanture des rôtissoires où tournoyaient des têtes de mouton, se profilaient les premiers étals à même le trottoir où l’on essayait dans une grande exaltation et derrière des rideaux de fortune des vêtements vintage (on disait rétro), des jupes ballons à gros motifs, des tricots du temps de la guerre, des sandales compensées et des escarpins à talons aiguille empilés comme à Auschwitz avant d’envisager les buffets ventrus qui faisaient horreur à nos parents dans les broc’ les moins chères de Paris. On repartait très excitées et riches de nos acquisitions à vil prix. 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...