#40 jours #07 | Sauveterre underground

Le plongeoir. Le 5 mètres, assis sur le rebord. Les autres dans la piscine, en ombres flottantes. Vaguement soulignées par la lueur du petit jour ou de la lune. Ils l’appellent. Ils le crient. Il saute. La bombe. Caleçon qui fuit. L’eau sur le visage et dans la bouche béante. La grande inspiration et les ombres pliées, mortes… avec la gueule noire du Che, tête retournée, juste au-dessus de la tienne, et Mandela dans sa prison, et le tour de passe-passe, le Che en prison et tu te retrouves en rouge et noir avec Mandela, comme dans cette carte qui tourne et le perroquet se retrouve en cage, en prison, sur ce matelas posé à même le sol, un drap bleu marine, la chambre tournant dans l’ombre des persiennes, les lignes de lumière et t’es en nage, comme un trou et des tours d’écrou dans le lit, tu t’enfonces, (et on a fini où déjà… ?), l’escalier chez Ben, de bois grinçant, cette marche qui plie, ce mur de pierre qui tourne, qui te laisse sa traînée de poudre blanche sur l’épaule, l’odeur du salpêtre dans la cave, la fraîcheur, l’humidité, la terre battue, les tables de guingois, la tête avec, le lecteur portatif, la pile de CD et encore « Oh baby give me one more chance… », verres et canettes vides (encore une sacrée descente…), la planche à découper, l’Opinel, saucisse sèche et baguette, l’ampoule au plafond voûté, blafarde, la lampe halogène dans le coin qui crache, la fumée par la petite porte quand on va fumer dehors, la vieille porte taguée, sous la terrasse, le passage en forme de pont dans la ruelle qui monte au château, tu vois rien, et c’est comme si elle s’enfonçait, plus tu montes au château, plus tu pars dessous, en souterrain, en tortillon (et baisse la tête…), un briquet pour se guider et se cramer les doigts, et l’autre con qu’a voulu sauté d’une terrasse à l’autre, qui s’est bien ramassé en bas, sur les pavés au pied d’une croix gammée (les cons et t’étais où toi… ?), on l’a descendu en le portant tout le long de la rue, et on voyait rien, on voit jamais rien dans cette rue, jusqu’au Jonz’, au pied de l’escalier (t’étais pas là justement… ?), tu venais de prendre l’apéro, en terrasse, les petits cailloux blancs qui crépitent, la petite table ronde, le parasol, le verre de bière, le grand de l’happy hour, avec les gars et la miss, pour une fois c’était là le rendez-vous (mais qu’est-ce qu’il foutait l’autre… ? — On attend plus il se démerde… !), t’es allé voir, tu descends l’escalier, la volée de marches en pierre entre deux hauts murs, raide (le con il serait déjà barré au Chalet avec Zef…), en bas dans la rue, des voix, une voiture et ça fait un reflet dans les persiennes, le Che au plafond, Mandela au parloir le nez dans ton oreille (et elle a pris cher la miss…), il a fallu tu conduises l’AX au retour et tu te trainais, tu te trainais, la dernière côte dans Montendre, en ligne droite, ça n’en finissait plus la pente douce à même pas trente, ça rendait dingue le Beg derrière, serré à quatre derrière (et c’était qui les autres… ?), le soulagement quand ils sont descendus de la caisse devant le Chalet du Lac, les frères Jabouille derrière le bar, grand ouvert face au lac, la forêt de pins, les canards, la grande tablée qui nous attend dans la salle derrière, la bouffe, et la boîte en bas, plus tard, la nuit, par l’escalier métallique qui résonne ou tu fais le tour par dehors, par la butte de terre poussiéreuse où ça glisse, la boîte rouge, les murs, les piliers, le plafond, les comptoirs qui se font face, un rouge intense, un rouge pour les lèvres, et les gravures sur les piliers, les tags, Respect SVP quand tu entres, la petit boîte rouge pleine à craquer, une chaleur à crever et impossible de se parler avec la musique, ou dans le creux de l’oreille et la lumière en pleine figure, t’es content d’aller prendre l’air, même quand ceux qui partent font voler la poussière, et toi tu restes pour l’after (mais non c’était le week-end dernier ! — Mais alors t’étais où… ?), quand t’essaies de te relever, la chambre fait un tour, le Che dans la prison de Mandela et toi au parloir derrière les persiennes, hygiaphone géant d’ombre et de lumière, ne nage avec ce drap ultramarine qui vole, et ce rideau noir, lourd, à l’entrée de la Pitch’, la boîte noire quand tu descends de l’ancienne gare de Mosnac, la Loco (t’as bouffé là… ?), la maison qui fait l’angle à la patte d’oie, la façade blanche vieillotte, portes et fenêtres fermées bordées de rose, rien pour signaler sauf l’espèce de petit barnum blanc et le nom rose de la boîte, et passé le rideau noir les premières salles illuminées, mais tu descends aussitôt l’escalier à droite, derrière la table de mixage du DJ, en colimaçon quoi qu’il arrive, tu tombes dans la grande salle, la piste de danse là avec la miss, les banquettes là avec la bouteille, le bar avec du monde, le noir et les spots, le boum boum et le bleu du ciel en face, la baie vitrée grande ouverte (les cons ils t’ont jeté dans la piscine… !), et comment tu te retrouves avec Greg, les fringues trempées, à errer dans Sauveterre, à descendre le petit parking autour de Coiffinet’, passer derrière la supérette 8 à Huit, l’ancien Rousso — aujourd’hui Vision Plus —, et avec lui à jamais perdu son escalator qui montait seulement, pour descendre c’était l’escalier, mais tu t’amusais à le descendre quand même, l’escalator, à fond les ballons et quatre à quatre les marches de fer, mais impossible d’aller au bout (tu descendais sans fin…), comme la petite rue qui descend au château en la remontant, noir de chez noir, avec le Zippo de Greg de virage en virage en passage souterrain (et baisse la tête là… !), et la place du château, qui est encore ce vieux parking de supermarché à gravier où les lignes ont fini par s’effacer, la place vide et sans lumière, le château et ses deux tours dans le dos, et puis l’allée de tilleuls, un peu de vent dans les feuilles sûrement, mais la tempête entre les tiennes surtout, l’œil en feu et la langue pâteuse, le Coq fermé, une fenêtre à l’étage allumée là-bas, la lumière tamisée chez Ben, son père, feu Claudus, déjà debout pour bosser sa maîtrise de droit (Ah ben enfin ! entrez ils vous attendent à la cave !), l’escalier au fond, et la lumière qui éblouit quand la porte s’ouvre, le couloir qui valse, le Che et Mandela en ombres repliées sur les murs, l’escalier qui tourne, de bois noir, tu t’accroches à la rampe, ça craque, ça branle, le couloir, à droite la cuisine, à gauche le coin de la table, tu rebondis, la terrasse en face, la lumière — Et bonjour ! un café ?

Figure 26 – Sauveterre souterraine – Google Earth en street view – copie d’écran 18/06/2022

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

3 commentaires à propos de “#40 jours #07 | Sauveterre underground”

  1. Rétroliens : 40JOURS #23 Matière de l’Imago – Tiers Livre | les 40 jours

    • Un mois de retard pour te répondre, carrément ! — Je ne sais même pas quoi te dire puisque le texte m’échappe, avec tout ce que j’ai écrit depuis. Mais je crois qu’il m’échappait aussi en l’écrivant. Ca doit être l’effet Plongeoir.