#40jours #09 | portraits (presque) ratés

Attaque à l’éléphant

Il y a toujours un moment où on a envie de sortir de la ville … On part sur les routes des Alpes, à la recherche d’un camp militaire ou d’autre chose qui ne ressemble pas du tout à l’endroit où l’on vit. On choisit une intersaison pour pouvoir profiter du paysage sans grelotter. On fait forcément de drôles de rencontres. L’image du franchissement de col avec une colonne d’éléphants et de combattants dont l’un entraîne tous les autres nous a rendu incrédule. Les animaux de cette taille au pas si placide, sauf à la charge, ne sont pas des montagnards , sinon on le saurait. Et en Inde, avec leurs apparâts de midinettes, ils sont sacrés autant qu’exploités dès leur jeune âge. Faire le portrait du cavalier inconnu est tout à fait irréalisable. On ne sait pas ce qu’il pense, s’il a faim, s’il a soif, si une envie pressante le démange et que le train d’enfer de l’expédition l’empêche de se rassasier, de s’abreuver et de se soulager. Celui du haut est pourtant descendu, et il a l’air de menacer à la cantonade, celui d’en bas est un peu avachi et sa monture a peur de quelque chose. Il n’y a encore pas de Sabines à l’horizon , ni d’Amazones en face … alors… Comment savoir ?

Vaches curieuses

Faire le portrait des vaches est beaucoup plus facile. Celles-ci ont encore des cornes, on ne leur a pas brûlées dans leur jeune âge comme ces pauvres bêtes enfermées dans des hangars à stabulations qui les empêchent de comparer leurs casques élégants. Les vaches nous regardent toujours dès qu’elles nous aperçoivent car elles ont besoin de deviner nos intentions. Parler aux vaches n’est pas très gratifiant. Elles sont facilement stressées et vous le signifient de manière ostentatoire et odorante. Splatch ! Mais la sagesse des vaches nous laisse loin derrière dans nos prétentions. Elles n’enquiquinent personne et leur vie familiale pourrait être plus agréable. On n’a jamais oublié , la saveur du lait de la vache du Sans famille d’Hector MALOT. Avoir une vache à soi à dessiner et à traire (un peu ) est un luxe, un fantasme également.

Les vaches sont belles et courageuses lorsqu’elles vèlent et se laissent pomper les pis sans revendication syndicale, puis arracher leurs petits pour la boucherie . Elles meuglent beaucoup et fort le jour de la séparation ou du camion… Sait-on ce que pense une vache de l’insémination et de la dépendance à la manne nourricière d’un complexe agrico-alimentaire qui essaie de leur fourguer du carburant énergétique à moindre coût ? Les vaches au pré sont peut-être les pus heureuses.Au moins un court moment. Mais les vaches laitières ne peuvent pas élever leurs enfants, choisir leur partenaire sexuel, aller ailleurs que là où quelqu’un en a décidé ( Sauf en Corse, mais même là, elles ont maintenant un matricule en plastic à l’oreille ).

Faire le portrait d’une vache heureuse et qui (nous ) parle fait partie de nos fantasmes.

Avenue Rockfeller 1
Avenue Rockeller 2

Les motards ne foncent pas dans cette avenue, il y a des radars partout, des feux tricolores tous les 100 mètres, des ralentisseurs , des caméras de surveillance… Pour autant faire leur portrait n’est pas commode. Scooters et Motos sont les montures pétaradantes des chevaliers aux temps modernes, mais ils n’arborent pas leur carapace en été. Ils ont les deux mains et les pieds occupés, ce qui les dispense de faire des bras d’honneur aux autres usagers de la route… Les plus habiles préfèrent peaufiner leurs excès de vitesse, avec des rodéos ou des évitements glissants acrobatiques…Les plus polis tendent la jambe pour remercier lorsqu’on les laisse passer. On préfère les avoir devant soi que les voir surgir, déboulant sur l’angle mort en doublant à droite comme à gauche. Ils s’enfuient comme de gros oiseaux malins.

Cycliste déboussolé

Les voies cyclistes pullulent à Lyon et elles prennent leurs aises quand les voies sont larges et aménagées. Certaines empruntent des voies à contresens et même des voies réservées aux bus et aux véhicules prioritaires. Les sirènes en ville sont un bruit de fond strident et fréquent.  » On s’en fout-c’est pas nous  » Pinpon Pinpon ! Sirènes hurlantes des voitures de police… La ville s’excite au son des tragédies potentielles. La sécurité est à ce prix de décibels; mais les files d’attente aux urgences hospitalières ne se décongestionnent guère depuis quelques temps. C’est bien beau de se précipiter pour convoyer un brancard, encore faut-il qu’il y ait de la médecine et des soins au bout… On a vu fleurir aussi les affiches de mise en garde , plus ou moins humoristiques sur les panneaux d’affichage des services , l’agression verbale est sous haute surveillance, la plainte est priée de rabaisser son caquet d’un ou plusieurs tons, vous êtes le patient, pas l’unique et devez remplir des papiers , même avec une jambe cassée… C’est le protocole, la carte sécu, l’identité d’abord ( sauf sans le coma) et après on attend gentiment, on embête pas le personnel avec des questions redondantes et inutiles. On examinera votre cas… à un moment ou à beaucoup d’autres,c ‘est assez aléatoire, pas aussi précis que sur les panneaux lumineux d’entrée en pointillés orange dès votre entrée en Ville aux heures d’affluence. Soyez rassuré, on s’occupe de vous, on fait le maximum dans un délai, si possible silencieux, merci !… Les distributeurs lointains sont là pour vous sucrer un peu, sauf si vous devez rester à jeun… Mais avec le covid on a interdit les accompagnant.e.s. Même pour les personnes âgées et vulnérables désorienté.e.s…C’est l’hosto à la Mario Bros, on rentre son histoire sanitaire dans l’appareil, on attend que le tapis roulant roule, on attend qu’elle ressorte au soleil , ou sous la pluie, à midi ou à minuit, et au final, s’il nest pas létal, on n’est pas vraiment fâché.e d’en avoir réchappé.

Ombres de secours près du cinéma

Tout ce baratin pour dire qu’on ne peut pas faire avec précision le portrait d’un cycliste urbain non encore accidenté et que le port du casque en ville est rondement recommandé. Le cycliste en ville est devenu un roi choyé puisque sa bicyclette qui était déjà petite reine vient d’être parrainée par la fée électricité qui a installé son cadeau de naissance derrière la selle. Plus aucune excuse pour éviter de jouer à la file indienne, parechoc contre parechoc,avec des vignettes de restriction de circulation anti-pollution atmosphérique, de zéro à trois. La ville s’écologise enfin… Les portraits de cyclistes se feront bientôt en troupeaux avec une myriade de petits drapeaux et des gilets fluos.

La Fée Electricité se promène en ville

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.