#40jours #14 | Il y avait un arbre

© L. Humbel, Marseille, 2021


Ici, il y avait un arbre. Et dans cet arbre, un homme. Je ne l’ai pas connu, mais je ne peux passer devant ce mastodonte de ciment, à l’angle du boulevard Flammarion et de la rue d’Isoard, sans penser à cet homme. C’est une construction sans forme, juste un empilement. Du déconstructivisme je suppose ? Peu importe le style. Je parle du rendu. De l’écrasement que l’on ressent à se trouver devant. De la densité de population, de l’entassement. Des voitures garées le long du trottoir et des parois de verre du supermarché, arrondies à l’angle, à moitié dépolies, sans beauté, sans joliesse, sans entrain, sans âme. Cet homme je ne l’ai jamais vu, mais j’ai su son combat contre le gros projet qui devait détruire l’arbre. Et même, un jour d’en bas j’ai vu un campement de toile et de planches dans l’arbre. J’ai lu que de plusieurs jours il n’était pas descendu, sauf pour aller voter. Il avait donc des papiers d’identité. Il s’était attaché aux branches, balloté par les rafales de vent de mars 2015, avec une petite plate-forme en palettes pour se reposer. Je ne sais pas comment tout cela s’est terminé. Mal pour son camp, visiblement, et au profit des promoteurs. En juillet 2015 le premier coup de pioche a été donné. Est-il descendu de son plein gré ? S’est-il résigné ? S’est-il fait déloger par la maréchaussée ? Parce qu’après les coups de pioches, le 27 mai 2016, la première pierre de l’opération Univ’RLongchamp (sic) a été posée. Une opération immobilière : pas une construction, ni une réflexion, ni une amélioration, pas une déforestation ni une aberration. Une opération. Plus de 300 logements. Ça fait combien de gens ? Ce programme résidentiel (pas un problème, ni un prodige : un programme) est situé à 5 minutes de la gare Saint-Charles et de la Canebière. Il n’est pas précisé sur la page internet du promoteur si le temps est compté en voiture ou à pied, et combien il en faut encore pour se garer. L’îlot Chanterelle, tel était son nom, était un espace vert, « une sorte de jardin informel que la ville a souhaité valoriser via un projet de renouvellement urbain exemplaire », a dit l’adjointe à l’urbanisme de l’époque. Depuis, la municipalité a changé. La même page internet souligne le mal en patience qu’ont dû prendre les promoteurs, pris sous le feu croisé (sic, c’est bien eux qui étaient attaqués, leur pioche n’a fait que caresser) des recours des riverains (les vilains dont la Ville voulait pourtant valoriser le quartier). Face à la fronde (re-sic) des riverains – qui voulaient garder de belles frondaisons – les promoteurs ont revu à la baisse la hauteur des immeubles. Peuchère, qu’est-ce que ça aurait pu être !

Je ne sais pas quel nom est inscrit sur les papiers d’identité de cet homme. Peut-être Côme Laverse du Rondeau*, comme le Baron Perché d’Italo Calvino.

*Traduction du nom de Cosimo Piovasco di Rondò proposée par Juliette Bertrand dans l'édition française au Seuil.

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

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