#40jours #17 | 3 elles

Elle se tient à la porte elle aussi mais on ne la remarque pas tout de suite. Derrière ses petites lunettes, elle compte et nomme les bambins sans bouger les lèvres. Elle range leurs prénoms dans un coin secret de sa tête et s’en sert pour attraper les retardataires. Parfois, si peu de fois, elle se trompe et écope d’une remarque vexée. Tout le monde ici sait qu’elle les connait par cœur mais par réflexe, elle s’excuse.

Elle a ce pouvoir de voir derrière les masques que le docteur fabrique. Là où tout peu basculer, là où plus rien n’est certain, elle sait trouver les mots pour rassurer. Les patients sont surpris en la voyant parce qu’elle ressemble à leur cauchemar. Ses traits sont défaits, ses lèvres craquelées et son corps est celui d’une vieille reine anglaise. Elle a le visage froissé comme des draps au petit matin mais elle cultive ses plis pour adoucir son regard, c’est elle qui se charge des factures.

Dans son nouveau quartier, elle aime dire qu’elle travaille dans la boulangerie. Elle le dit haut et fort et laisse un silence s’installer, à l’affût d’un signe de mépris qu’elle renverrait d’un coup de sac Channel. Elle ne parle pas de l’empire que son mari et elle détiennent mais elle aimerait que la nouvelle se murmure et ricoche dans les conversations. Elle fait leur année dans le mois et ne frissonne plus devant l’addition. En attendant, elle va chercher sa fille à l’école, comme tout le monde.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.