#40jours #22 | voyage d’une ruche

Françoise Renaud© – route de St Bresson 2021

02.07.22 | 11.49 | fait beau trop beau sans doute les touristes sont de retour la route qui descend de Saint Bresson est très étroite d’ailleurs ce n’est pas une route rien qu’un chemin aménagé qui borde le précipice à plusieurs reprises mais ce n’est pas ce qu’annonce leur GPS et de la fenêtre du bureau on peut voir l’arrivée des véhicules depuis le haut qui subitement ralentissent en mesurant l’étroitesse du chemin devenu ruelle entre bâtiments datant de plusieurs siècles cette fois une camionnette avec remorque

02.07.22 | 11.52 | la camionnette a stoppé à hauteur de chez Jo deux silhouettes s’agitent dans l’habitacle   

02.07.22 | 11.53 | depuis la fenêtre je fais de grands gestes à leur intention non non ce ne sera pas possible de passer ah oui le GPS mais vous ne passerez pas pour autant impossible d’écarter les murs vous n’êtes pas les premiers

02.07.22 | 11.57 | depuis huit minutes le moteur du camion tourne et encrasse la ruelle ils ne se résignent pas ils ne veulent pas reculer pourtant ils voient bien que c’est impossible quand ce ne sont pas des hautes façades ce sont des murets de jardin ventrus à cause des racines qui réduisent le passage l’un des deux types enfin descend en éraflant la portière au roncier et ses avant-bras aussi pour aller voir plus bas ce que ça donne rien à faire ils s’énervent ils ne veulent pas croire

02.07.22 | 12.00 | le type revient mine déconfite je ne vois pas comment on pourrait dit-il à l’autre donc pas de solution sinon la marche arrière putain de GPS l’autre derrière le volant va devoir s’armer de patience c’est ce que je dis d’en haut parce que je m’énerve aussi combien de fois c’est arrivé je vous dis

02.07.22 | 12.04 | le problème c’est qu’avec la remorque les choses se compliquent en effet difficile de régler la progression au quart de poil à cause de la remorque qui présente un délai de réaction incompatible avec le peu de marge de manœuvre et le problème c’est que dans la remorque il y a une ruche et que ses habitantes s’énervent elles aussi commencent à s’égayer dans la nature

02.07.22 | 12.05 | les types discutent j’entends leurs voix inquiètes

02.07.22 | 12.07 | il va falloir détacher la remorque avec la ruche et la mettre à l’écart avant de reculer le véhicule ils reviendront la chercher après avoir fait demi-tour mais pas possible avant environ deux cents mètres pourvu que personne n’arrive en face putain de GPS

02.07.22 | 12.08 | ils m’appellent demandent s’il ne serait pas possible de remiser la ruche dans le jardin oui on va se débrouiller mais on en a marre depuis le temps que la mairie aurait dû mettre en place une vraie signalisation tout ça n’est pas sérieux oui mais les gens suivent aveuglement ce que la machine leur dit de faire ils se jetteraient à la mer si on le leur disait et Google ne veut rien savoir ils n’ont vraiment aucune idée de ce que c’est qu’un chemin cévenol

02.07.22 | 12.10 | ils enfilent des combinaisons blanches ouvrent le portail du jardin y enfournent leur remorque couronnée d’abeilles ils ont rangé leur GPS dans la boîte à gants l’un des types remonte dans la camionnette l’autre le guide par derrière ça va être long au moins deux cents mètres j’observe la suite des opérations depuis mon premier étage l’étroitesse de la voie la largeur du véhicule l’énervement des types la délicatesse de la manœuvre et un rétro arraché ils ne sont pas au bout de leur peine pourvu que personne n’arrive en face

02.07.22 | 12.18 | un temps fou pour gagner chaque mètre encore plus en abordant la courbe qui borde la parcelle où Dubois cultive ses oignons pas question de heurter le vieux mur ça passe juste mais juste je vois encore de loin la silhouette du gars en combinaison d’apiculteur qui agite les bras dans tous les sens sont pas au bout de leur peine les pauvres

02.07.22 | 12.28 | les ai perdus de vue j’espère que ça va aller

02.07.22 | 12.45 | ils reviennent image surprenante de leurs silhouettes de cosmonautes dans la petite vallée verte on récupère la remorque les abeilles vont suivre merci qu’ils me disent ils s’y mettent à deux pour la remonter ça a duré presqu’une heure cette histoire putain de GPS

 
bien sûr c'est une histoire vraie... sauf que je l'ai décalée dans le temps
en vérité les abeilles avaient voyagé en fin de jour
une signalisation dissuasive est prévue se mettre en place dans les jours qui viennent, enfin c'est ce qu'on dit depuis l'année dernière, on espère... depuis le temps que ça dure... 

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

11 commentaires à propos de “#40jours #22 | voyage d’une ruche”

  1. Plein de vie(s). Par contre, faire voyager une ruche en plein jour dans une remorque est l’un des moyens les plus sûrs de perdre l’essaim. Mes abeilles me le disent souvent. Mais l’important est dans ce texte plein de vie(s).

    • alors je doit t’avouer j’ai un peu triché, l’épisode est arrivé en début de soirée mais j’ai choisi de le placer à aujourd’hui et dans le temps de l’écriture, pour les besoins de la cause…
      je suppose qu’ils savaient tout de même ce qu’ils faisaient, même s’ils n’avaient pas pris la bonne route, le nez sur leur écran
      et je n’avais pas anticipé ta connaissance des abeilles !

  2. Françoise, ton histoire est tellement bien racontée qu’on en a le cœur et le corps serrés. On comprend leur état de nerfs… mais pourquoi s’obstinent-ils autant ?
    Merci !

    • un cauchemar que cette histoire de GPS, tu sais… une absurdité… une situation qui j’espère sera résolue bientôt, sauf pour les têtus je le crains, qui voudront toujours se mettre dans des situations impossibles…
      (je vais aller lire d’ici ce soir les productions, là du taf urgent !)

  3. Et la ville est là, dans cet entêtement de déléguer dans les machines le pouvoir de régler tous les problèmes alors que notre bon sens le ferait beaucoup mieux. Ton texte est délicieux et techniquement parfait en ce qui concerne la maitrise de la description. On attend en suspens le succès de la manoeuvre ! Merci, Françoise !

    • soutien et présence toujours de ta part, précieuse Helena
      et toujours le doute au moment de poster le texte écrit dans l’urgence évidemment entre arrosage des jardins (obligation de respecter l’heure limite imposée par l’état d’alerte pour l’utilisation de l’eau sinon grave amende) et les obligations diverses quotidiennes
      m’en, vais te lire tout à l’heure…

      • L’urgence te va très bien ! Compréhension et soutient pour ce qui est du rationnement de l’eau. On est, malheureusement dans ce cas, sur le même diapason.

  4. Quelle histoire ! Et si bien racontée qu’elle en prend des proportions épiques ! Très réussi le découpage à la minute, comme un zoom temporel, et qui donne toute sa force à ce récit.

    • on prend ce qui affleure de façon immédiate suite à l’écoute de la proposition, on reste dans le champ qu’on s’est choisi et on y va…
      voilà comment j’ai fait voyager ces abeilles de jour alors qu’en principe on ne les déplace qu’en soirée ou de nuit sinon elles se perdent… erreur de ma part soulevée par JLuc, mais ça ne fait rien, il me suffira de changer la table horaire
      et c’était tout à fait épique en effet, il a suffi de retranscrire !!

    • merci Françoise de t’être prise au jeu…
      un film d’action sur un conflit de civilisation !
      cette route n’était fréquentée à l’origine que par des animaux et des charrettes et les gens se repéraient aux étoiles… les précipices n’ont pas changé et l’étroitesse des passages entre les rochers non plus !
      aujourd’hui avec les camping-cars, on marche sur la tête !