#40jours #23 | cauchemar centriste

Eh beh c’est tout droit, c’est pas compliqué, il m’a dit avec un sourire plein de dents. J’ai essayé de remballer ma question quand j’ai vu sa tête et son air de faut pas y aller. Mais ma bouche a terminé le boulot et je lui ai demandé où était la gare, histoire de parler une dernière fois avec quelqu’un d’ici. Il m’a dit que c’était tout droit alors j’y suis allé. Il me regardait toujours, il est resté planté là avec ses dents, il m’a interdit de tourner, il m’a dit c’est tout droit, tourne surtout pas garçon hein, tout droit, avec le regard fou qui vous happe comme une flamme de briquet. Tout droit la gare, j’ai pris tout droit et je suis passé à travers la pierre molle du palais de justice, je suis passé à travers, je ne sais pas le dire autrement, je suis passé à travers sans en profiter parce que j’avais le souffle coupé comme quand on plonge dans de l’eau trop froide, en Bretagne, ils disent qu’elle est bonne mais elle est toujours trop froide, toujours, merde on n’est pas des homards. Je suis ressorti un peu sonné, plus de sourire plus de dents à l’horizon, pas besoin de ça pour qu’il m’obsède. J’ai traversé la ville comme ça, tout droit, passé par des endroits où je ne devais pas être et les gens là-dedans étaient d’accord avec moi, il y a eu des cris, il y a eu des coups, il y a eu des coups de crocs dans les mollets, il y a eu cette pièce où les gens dans le noir veillaient sur un corps endormi qui pouvait être le mien, il y a eu les cuisines graisseuses de fin de service, les fêtes qui venaient à peine de commencer, il suffit qu’un seul d’entre eux se mette à danser, il y a eu les murs de brique, les murs de béton, les papiers-peints, c’est la pire des matières à traverser, la plus dégueulasse. Je voulais juste parler une dernière fois avec quelqu’un d’ici. Et du train où je suis rentré -par la porte comme tout le monde-, et du wagon-bar où j’ai demandé quelque chose de fort et où l’on ne m’a servi qu’un café, du train qui me ramenait à Paris je n’avais qu’une chose en tête, qu’une peur aux tripes, celle de ne plus pouvoir tourner à droite ni à gauche.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.

4 commentaires à propos de “#40jours #23 | cauchemar centriste”

  1. super, une longue tirade tout d’un coup, de la vitesse et de la gouaille, ça me parle, belle lecture, merci.