#6 – TRANSPARENCE | REFLET

Le hublot et ses boulons rouillés la moitié de vagues et la moitié de ciel qu’il encercle le bateau quitte la rade elle observe son visage qui peu à peu se dessine à cette heure du soir où les vitres passent de la transparence au reflet elle apparaît à mesure que la terre s’éloigne ses lèvres fines son nez busqué elle remet une mèche de ses cheveux derrière l’oreille le samedi matin à l’heure du ménage quand il est sorti jouer au flipper elle fume une cigarette à la fenêtre les samedis matins sont comme ça le trapèze qu’étire le soleil sur la moquette beige la cigarette avant l’aspirateur le silence la solitude ce samedi d’avril le soleil sur les carreaux révèle les traces laissées par les averses de la nuit puis un nuage passe un lourd nuage chargé de grêle qui obscurcit la chambre et efface les dégoulinures et tout ça n’a plus d’importance elle tire une dernière bouffée et remet une mèche de ses cheveux derrière l’oreille les corps des hommes qui dansent autour d’elle se reflètent sur le plafond verrière les spots verts les spots rouges elle danse et danse encore le nuage de tabac gonfle la nuit de gris elle finit son verre la nuque en arrière sur la verrière les corps des hommes se reflètent indistincts elle remet une mèche de ses cheveux derrière l’oreille le lundi l’hygiaphone a été briqué par une main invisible elle prend à 9h son poste au standard jusqu’au soir sa silhouette se dessine vague sur la baie vitrée elle lisse sa jupe rajuste une épaulette le premier appel clignote elle ôte sa boucle d’oreille droite décroche et remet une mèche de ses cheveux derrière l’oreille il pleut sur le parc la fenêtre de la chambre est inaccessible derrière l’épais rideau de plastique transparent qui filtre la lumière du jour et l’isole de l’invisible qui pourrait la blesser quels parfums chargent l’air du dehors le souvenir de l’odeur de la terre mouillée des pots d’échappement des brunes sans filtre s’est perdu dans la chambre stérile à l’écart du monde derrière ce rideau en plastique où ondulent les marronniers du parc hors de portée plantés dans un monde qui n’est plus le sien sa main ébauche le geste ancien mais la mèche elle le sait pourtant n’est plus là. 

A propos de Xavier Georgin

Xavier GEORGIN est auteur, animateur d'ateliers d'écriture et membre du collectif La Ville au Loin (https://la-ville-au-loin.fr/). Il écrit des textes où se rencontrent histoires familiales et traces dans l’espace urbain puis les met en son et en images sur son site internet www.xaviergeorgin.fr

2 commentaires à propos de “#6 – TRANSPARENCE | REFLET”

  1. « cette heure du soir où les vitres passent de la transparence au reflet », si peu de gens le remarquent et ce geste machinal qui demeure même après.
    C’est mélancolique et beau.