#40 jours #perdu. Au-delà des phares

Même quand je roule la nuit, j’aime prendre les routes secondaires. L’autoroute m’ennuie terriblement, vitesse glissée entre rails de sécurité, échappatoires parcimonieux. Au-delà de la lumière des phares, dans l’obscurité, sur mes petites routes, je sais le champ, les rangées de cyprès, je sais le petit cours d’eau, la maison seule, là-bas, dont je distingue tremblant le réverbère entre les arbres ; je sais les fils électriques qui pendent entre les poteaux, les fils barbelés entre les enclos, les feuilles de la hêtraie, qui se balancent dans l’automne, séchant leurs rouges, orange et ors. Au delà des phares, à droite, je sais le petit chemin qui s’enfonce vers Le Ventouzet, je sais la pente qui dévale à gauche. Dans l’obscurité, au-delà de cette toute petite zone où j’impose mon faisceau de lumière, je sais le cerf, le chevreuil, l’hermine, les yeux miroirs pris dans les phares.

J’ai eu très envie d’aller voir le lac, voir l’obscurité rouler sur les clapotis. L’obscurité au-dessus d’une obscurité plus dense encore, séparées l’une de l’autre par le frémissement du noir. Je n’y suis pas allée.

Mais il est un morceau de route, un morceau d’autoroute plus justement, un morceau de l’autoroute A75 précisément, où je ne sais plus. Entre le panneau de sortie Verrières, et celui du Massegros, de nuit, il n’y a plus que la route dans les phares, la route qui court entre les bandes blanches, les glissières qui bordent l’espace ; au-delà… je ne sais plus. Même l’imaginer devient difficile, il n’est plus que la route et tout mon univers rentre là-dedans, dans ce faisceau ridicule de grains de goudron. Je suis les lignes répétitives, mon esprit glisse, le temps chevauche les pointillés, se dilate. Il me semble rouler sur ce tronçon depuis des heures, les mêmes mètres d’asphalte encore, encore, je roule sur place, toujours au même nulle part, le même bout de route sous mes roues, sans cesse collé-coupé-collé. Sur cette portion de route. Là. Je suis perdue. Sur cette portion de route précisément. A tel point résurgente qu’elle en est devenue elle-même un repère.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.