À VENDRE

Edenville, Manche

Là c’était la dune, entre la dernière villa d’Edenville posée sur la digue et l’embouchure du Crapeux, elle dominait le paysage courbé de la baie, les vagues épuisées sur le sable, les colonies de mouettes bécotant l’estran froissé sous le ciel changeant. Là c’était la dune plantée d’oyats, liserons des sables et chardons bleus chargés d’escargots minuscules, zone blanche flanquée de la plage à l’ouest et d’une petite route goudronnée en contrebas à l’est. Au delà des terrains vagues piqués de coquelicots, quelques pavillons des années cinquante égarés au bord de la nationale qui relie les deux stations balnéaires, puis des mielles  jusqu’au pied des falaises, invisible, derrière, la douceur du bocage. Là c’est un territoire libre et fragile, une respiration de sable en collines instables d’où les garçons se jetaient en mimant la mort sous le feu de balles imaginaires, où nous abritions nos bivouacs adolescents, feux de camps joyeux et interdits, nos réveils frileux aux parfums iodés. Maintenant sur la mielle se dresse une géométrie rigoureuse d’ardoise et de béton, balcons sur gazon impeccable face à l’horizon flambant du soir, baies miroitant ciel et Manche confondus en gris soyeux. Trop de tempêtes, d’hivers pressants, de batailles à venir, maintenant ce sont les ganivelles arrachées par les marées, le sable aspiré par les vagues méthodiques, grain par grain la côte se déchire. On ne sait pas comment mais c’est attendu que le paysage changera encore. Peut-être une vague de dessous la mer en cavale puissante depuis Chausey, peut-être un effondrement de ce qu’il reste de la dune, ou une tempête exotique plus violente encore que toutes ses sœurs emportera le tout. Il n’y aura pas de mots pour cela, en attendant, accrochés comme pare-soleil devant les fenêtres éblouies, des panneaux aux couleurs criardes brinquebalent leurs À VENDRE désespérés.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

7 commentaires à propos de “À VENDRE”

  1. oui tous nos bords de mer que la modernité travaille (mais n’arrivera pas à les banaliser et unifier comme le sont les centres de ville, la nature prévaudra même si elle est bornée par des rives bien propres bien chic)

    • Ce que je redoute c’est la submersion… et oui Edenville c’est assez joli, nom de la première villa édifiée dans le coin, ce fut ensuite le nom donné au lieu-dit.