autobiographies #02 | don contre don

En descendant les marches du métro, on l’aperçoit assis, son vieil imper battant ses flancs maigres, le visage émacié, la barbe grise, longue, la bouche agitée et deux yeux incroyablement vivants. Il a l’air d’un fou. De son verbe psalmodié, aucun vocable de connu, pourtant si le passant pressé s’arrête, et lui demande des nouvelles de sa santé, ses yeux parlent, remercient, sa bouche égrène des mots incompréhensibles dans un chamarré de langues d’ailleurs, tout son corps participe, il se lève, prend les mains du passant, s’incline pour mieux accompagner l’importance du moment.
Don Quichotte du métro parisien, il se tient là tel le chevalier à la triste figure. Velours de sons gutturaux, syllabes claquées, murmures chantés, yeux expressifs, il accepte le billet tendu en souriant et de sa poche tire un morceau de cuir tanné, patiné, qu’il gardait comme un talisman. Don contre don.


Jour de pandémie. Il marche le long des rues quasi désertes, la dérogation de sortie au fond de sa poche. Les seuls passants qu’il croise changent de trottoir ou, arrivés à sa hauteur, regardent leurs pompes ou tournent la tête.
Lui, tête haute, casquette de biais, continue de sourire à chacun dans un acte d’ultime bravoure. Rébellion.


Rame de métro de banlieue de Tokyo. Visages penchés sur le smartphone, tapotant ou dormant…
Seule une jeune fille impudique (selon les critères nippons) essaie de cacher sa colère. Que vient-elle de vivre pour qu’elle enfreigne ainsi le code de décence qui régit les lieux publics au Japon. Ne jamais laisser ses sentiments, ses émotions passer la barrière du visage. Ne pas importuner autrui avec ses joies, ses peines.
Mais quoiqu’elle fasse, ça déborde. Elle serre les poings fort, croise les bras en camisole, elle veut contenir, endiguer. Le flot de colère n’attend que la brèche pour jaillir. Quelqu’un s’assoit à côté d’elle et ça explose. Finie la décence japonaise !