autobiographie #07 – Minimes ou sublimes portes

De bois, dans un cadre de pierre, la porte ne fait barrage qu’aux éléments mauvais, la pluie, le froid, le vent. Elle est toujours ouverte. Qui veut entrer peut soulever le loquet de métal patiné.

Une ou deux minutes de panique : la serrure est coincée. Que faire si la maison des vacances n’ouvre pas ? Après le trajet, la suée. Il faut comprendre que la clef tourne dans l’autre sens. Finalement, le volet de bois de l’entrée se déverrouille. Derrière, l’autre porte est vitrée, neuve, réglementaire.

Quand il partait le matin avant que je ne sois levée, je trouvais toujours le verrou de la porte d’entrée refermé depuis l’extérieur, signe muet de l’attention qu’il me portait, manifestation intangible de ses bras protecteurs autour de moi. Avec une émotion bizarre, je regardais les moulures qui dessinaient des rectangles sur le bois. La peinture blanche commençait à s’écailler. Je soupirais doucement.

À côté de l’armoire au fond de la cuisine, après la table longue il y avait une porte vitrée dans un cadre de bois vernis. Elle donnait sur sorte de sas avec de grandes fenêtres, qu’un grand congélateur occupait entièrement, et puis on ouvrait l’autre porte, qui descendait vers le jardin.

Une porte rouge avec de petites grilles au rez-de-chaussée, à l’étage trois balcons fleuris et des fenêtres dont les rideaux blancs au joli drapé laissent voir un intérieur tendu de rouge. Un jasmin, un hortensia (peut-être faux) et, sur le balcon de gauche, trois pots et une jardinière d’où émergent des griffes de sorcière. Des amis arrivent, les noms ne sont pas bien indiqués sur l’interphone, ils sonnent, une femme plus âgée se montre à la fenêtre du troisième étage et leur dit de sonner à côté. Ils crient : « Carolina », elle leur ouvre, ils sont contents, ils ont amené du vin. Après on voit l’homme se montrer au balcon fleuri et on entend un bruit de friture et de la musique.

Une clochette tintait quand on poussait la porte vitrée de la galerie d’art, qui se referma sur le bruit des voitures et du pavé mouillé.

Une porte cochère. Ça fait clic. Un tapis vert, épais, sur les marches de bois vernis. Une main caresse la rampe toute lisse. La porte de l’appartement du premier a l’air encore plus lourde. Un doigt s’approche lentement du bouton de sonnette qui pointe comme un téton au milieu d’un disque en laiton dépoli depuis trop longtemps.

Instanbul (la Sublime Porte). À la fin de la matinée, je rejoins les autres à la porte du palais, dans les jardins de Topkapi (prononcer Topkapeû). Une porte imposante, plus haute que deux hommes, dans le renfoncement sombre et voûté d’une entrée fortifiée. Il ne pleut plus. Je vois entrer des flots de touristes, j’en vois surtout sortir, l’air épuisés plus qu’heureux. Je pense à toutes les femmes qui ont franchi cette porte une seule fois dans leur vie et ne sont plus jamais ressorties. C’était une prison. Où ai-je lu cette histoire de paysans venus de toute la Turquie à la fin de l’empire, chercher ici une fille ou une sœur ?

Une vierge à l’enfant au trumeau, en calcaire blanc, plein d’anges dans les voussures, et une porte en bois peinte d’un rouge sombre, faite pour qu’on ne la voie pas, et on n’en parle pas, tandis que l’on commente à foison les sculptures au tympan et dans les embrasures. Un homme, toujours le même, tient cette porte aux visiteurs. Il tend un chapeau mou et mendie doucement. Une guide fait signe à son groupe d’entrer. Elle a la voix qui porte.

Venise n’a pas de portes, juste des ports qui sont des passes dans les cordons littoraux du Lido. Les visiteurs officiels de la Sérénissime, en descendant de l’eau, pénétraient dans la ville par une porte d’air entre les deux colonnes de la Piazzetta, près du palais des doges.

Les façades principales s’ouvrent sur un canal, une grille ferme l’accès au portego, s’ouvre à l’arrivée des embarcations. Les portes n’existent qu’à l’arrière, humbles, secrètes, dérobées.

Paris. Quand il était petit, on pouvait lire au-dessus des portes des métros « Le train ne peut partir que les portes fermées » (alexandrin). « Ne pas gêner leur fermeture » (octosyllabe). Au collège, un professeur de français leur avait fait remarquer la poésie de la RATP.

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.