autobiographie #08 | la cave ; réminiscences

c’était une cave ; trois pièces en enfilade ; rectangulaires et hautes de plafond ; le plafond était en matière de paille collée de ciment gris ; les murs étaient en parpaings badigeonnés en blanc ; au début ils ne l’étaient pas ; le sol était en béton gris plus clair que le plafond ; les trois pièces ainsi alignées étaient ouvertes au centre par de larges rectangles ouverts sans porte ; bien que plus tard une porte coulissante en contre-plaqué fut installée ; un gros cadenas suspendu à deux anneaux fixés dans les murs de parpaing ; après qu’ils furent peints en blanc pour la circonstance ; il n’y eut pas d’inauguration à cette condamnation de la dernière pièce ; 

une armoire imposante ; sans âge ; aux lourdes portes épaisses ; plusieurs étagères ; le vernis par endroits plus épais qu’à d’autres ; des rangées de trains miniatures à chaque étage ; des trains de tous les pays ; de tous les continents ; Renfe sur une petite locomotive bleue ; Deutsche Ban sur un wagon jaune ; le train aux voitures blanches venait d’une boutique de Cáceres en Extremadura ; la vitrine là-bas chargée de trains poupées taureaux banderilles ; un autocollant REBAJA ; ici dans l’armoire ; et sur les rails larges de deux doigts ; ce grand réseau miniature sur table géante ; de petites maisons ; des gares ; une menuiserie au toit rouge et ses rondins de bois ; un hôtel de ville art déco ; un boulevard style mille neuf cents le long d’une baie à l’eau turquoise et ses vagues en résine ; des promeneuses sous ombrelles y croisaient des Américains en short appareil photo autour du cou ; des travailleurs ; terrassiers ; boulanger bonnet de nuit sur la tête le ventre proéminent ; les coudes sur les hanches d’une chanteuse de rue ; des paveurs et leur brouette ; un tas de pavés minuscules ; un chat un poisson dans la bouche courant devant une grand-mère le parapluie levé ; la montagne en mousse expansive ; une forêt de sapins plantée ; une rivière creusée ; rapidement de petits soldats de plastique ; anglais et allemands ; écossais à cheval ; prussiens une manche vide dans le dos ; se cachèrent dans tous les coins ; se firent la guerre au milieu des passants et travailleurs figés ; la lumière rouge du tableau de bord ; commande centrale passée au vert ; les bâtiments et réverbères s’allumaient ; les trains circulaient ; sortit d’un tunnel un long convoi de marchandises ; 

dans la pièce interdite l’atelier de menuisier ; sa table en métal et sa scie circulaire imposante ; sur les côtés des boutons noirs montaient ou descendaient divers plateaux ; une roue à dents en sortait au ras du métal ; le bois glissait jusqu’à la buttée ; un bouton-poussoir et c’était le fracas ; un autre bouton rouge en cas d’urgence ; le dessin d’une main dont les doigts se détachaient sous une croix jaune ; les ciseaux et les rabots tous parfaitement rangés par ordre de tailles de longueurs d’épaisseur suspendus à des clous enfoncés méthodiquement dans un large panneau de bois clair ; l’établi massif ; de gros étaux aux mâchoires ouvertes ; les lourdes manivelles de plomb retombaient ; son mat et lourd ; un mécanisme enclenché sans suite ; plusieurs fraiseuses endormies ; leur fils électrique débranché ;

dans la première pièce ; vide ; samedi soir parfois pendant les vacances c’était soirée théâtre ; des objets qui d’ordinaire n’étaient pas ici venaient de toutes les pièces de la maison ; du monde d’en haut ; un petit piano dans un coffret de bois de la taille d’un enfant ; grille dorée au milieu de baguettes entrecroisées d’où sortait le son des touches noires et blanches ; les lunettes de l’arrière-grand-père simples petits verres épais au bout de tiges fines et rigides ; faisaient mal aux yeux ; mal aux oreilles ; l’étui ovale en bois s’ouvrait en tirant sur les deux extrémités en même temps ; de vieilles lampes à huile allumées pour que commence le spectacle ; quand le gros bouton distribuant l’électricité avait été baissé ; après les trois coups sourds sur le tapis fleuri aux couleurs passées ; les bords s’enroulaient sur les côtés ; quelques rangées de chaises en mica vertes et jaunes descendues de la cuisine ; un petit sofa orange que le chien avait commencé à manger ; de la mousse jaune au milieu de déchirures ; de jeunes comédiens et comédiennes du noir autour des yeux et de la farine dans les cheveux ; 

A propos de Romain Bert Varlez

J'écris pour mieux lire.

2 commentaires à propos de “autobiographie #08 | la cave ; réminiscences”

  1. des réminiscences ténues comme le mot lui-même. Elles ont l’air de faire une jolie écharpe chaude.

    • Merci Louise pour cette belle image qui m’inspire à dire que les réminiscences tricotent ou se tricote.