autobiographies #02 | 3 manies

Comme tous les jours, elle, la mère de famille, elle fait la cuisine, elle met le couvert puis en fin de repas elle débarrasse, elle range et tout en s’affairant, en suivant les conversations des uns des autres, elle ouvre le placard, elle y remise le sel, le poivre, la carafe d’eau, le pain mais surtout elle se rapproche de la tablette de chocolat. Elle semble se délecter à casser puis à croquer, debout, mine de rien, ses deux carrés de chocolat de fin de repas. Elle prend du plaisir à faire comme si elle les chipait. Cachée entre les deux grandes portes grises du placard mural, elle se croit à l’abri de tous. Pourquoi a-t-elle besoin de se dissimuler comme ça? Rien ne lui interdit, personne ne l’empêche ni ne lui reproche cette envie de chocolat. Ce péché mignon les amuse plutôt, ils sourient de l’observer accomplir son petit rituel. Est-ce une habitude de l’enfance, la peur de manquer ou seulement le besoin de garder ce plaisir pour elle toute seule?
Ô précieuse sensation de dérober en douce, d’enfreindre, de voler. Et surtout pour une fois, ne pas partager, ne pas partager, ne pas partager. Garder pour soi.

A Nitry, à la sortie de l’autoroute A6 pour rejoindre le plus directement Noyers sur Serein, il suffit de traverser le village, tourner à droite à sa sortie puis continuer toujours tout droit. Mais B préfère à l’entrée du village prendre la première à droite, juste après la pancarte Nitry et passer « par derrière » comme il dit. Je ne comprends pas ce choix, ce n’est pas un raccourci et en plus il y a 2 priorités à droite dissimulées qui surprennent et forcent à ralentir considérablement. Il m’explique que c’est une habitude qui remonte à sa jeunesse quand il voulait éviter les radars ou les gendarmes souvent postés au carrefour et qui attendaient les fautifs, les chauffards plein de : vitesse, d’alcool ou de chichon dans les chaussettes. J’appris donc que «passer par derrière» n’était effectivement ni un raccourci ni une promenade mais une ruse pour flouer la flicaille, berner «les bleus».

Lorsqu’on jouait Cyrano de Bergerac avant de rentrer en scène à l’acte III, j’aimais l’observer se préparer: faire des rotations de la tête, des poignets, des chevilles, sautiller silencieusement sur place, relâcher les épaules, les bras. Et lorsqu’il entendait «Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride ! Improvisez. Parlez d’amour. Soyez splendide !» C. se campait droit dans ses bottes, embrassait le pendrillon, y apposait une croix et entrait l’air grognon.

A propos de Cécile Bouillot

Bonjour je suis comédienne. Je développe également des projets vidéos dans lesquels je filme les gens autour d'une même question. J'écris des poèmes de rue a partir de phrases récoltées dans la rue, j'aime m'amuser avec différents jeux d'écriture, j'écris régulièrement depuis deux ans. Acte 2 Scène 2. Chaine Youtube : https://www.youtube.com/user/cecilebouillot