#autobiographies #10 | à quoi ça tient ?

Elle répond au juge d’instruction. Elle est accusée d’avoir empoisonné Jean Galmot. Elle explique une fois encore. Elle a donné un bouillon à Monsieur Galmot souffrant. Elle voulait bien faire. Elle aimait son patron. Elle était fière de le servir. Elle a fait un bouillon. Elle l’a porté à l’hôpital. Elle n’a croisé personne. Elle l’a aidé à le boire. Elle aimait son patron. Elle est née à Trou poisson, commune d’Iracoubo. Elle est célibataire. Elle parle français et n’a pas besoin des traducteurs prévus par le tribunal. Elle est française. Elle a un enfant. Elle va avoir 20 ans. Elle n’a jamais porté d’amulettes ni de gris-gris autour du cou, mais elle croit aux sorts. Elle a confié son enfant à sa mère. Elle est une fille sérieuse. Elle porte un tailleur sous son manteau. Elle ne savait pas qu’il faisait aussi froid à Nantes. Elle remercie celui qui lui a donné un manteau à son arrivée. Elle a toujours vécu en Guyane, à Iracoubo et à Cayenne. Elle fait le ménage et la cuisine chez qui l’emploie. Elle sait faire des bouillons de toute sorte. Elle choisit elle-même les produits qu’elle cuisine. Elle fait le marché. Elle sait choisir les bons produits. Elle ne laisse personne toucher à ses casseroles. Elle a fait le bouillon que M. Galmot aimait. Elle répond au juge d’instruction depuis des mois, à Cayenne et maintenant à Nantes. Elle ne fait pas de politique. Elle ne connaît pas de quimboiseur. Elle ne connaissait pas Hilarion Lanoix dit Larose qui a été assassiné. Elle s’est cachée quand les émeutes ont commencé, après l’annonce de la mort de Monsieur Galmot. Elle comprend qu’il faut trouver la vérité. Elle répond aux journalistes. Elle est heureuse de raconter sa vie. Elle a son heure de gloire. Elle n’aurait jamais cru avoir tant de succès, avoir son nom dans le journal. Elle bénéficie d’un non-lieu en 1931. Elle pense que la France est un pays formidable et juste. Elle a déjà quitté deux maris pour venir en France. Elle est petite fille d’esclaves. Elle danse depuis toujours. Elle a fait des ménages, aidé sa famille et dansé. Elle dansait pour des salaires de misère. Elle gagne bien sa vie maintenant. Elle a du succès. Elle est noire et elle en est fière. Elle danse presque nue. Elle est nommée Reine des colonies et elle aime ça. Elle sait qu’elle ira loin. Elle le veut. Elle trouve un emploi à Nantes chez un couple qui a quatre enfants, les Clergereau 22 rue Rosière. Elle ne rentre pas à Cayenne. Elle meurt à Pantin à 36 ans en 1945. Elle retourne à New York sans succès. Elle rentre en France. Elle danse, elle chante, elle fait du cinéma. Elle fréquente les peintres et les écrivains. Elle obtient la nationalité française. Elle chante pour les soldats du front. Elle est ambassadrice de la haute couture. Elle parle français et américain avec un accent dont on se moque un peu. Elle a des amants et des amantes. Elle épouse un négociant en sucre. Elle divorce. Elle vit dans un château. Elle se remarie et se sépare. Elle est ruinée. Elle a deux amours. Elle adopte des enfants. Elle danse encore à presque 70 ans. Elle meurt à Paris en 1975 à 68 ans. Elle sera enterrée au Panthéon.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

4 commentaires à propos de “#autobiographies #10 | à quoi ça tient ?”

  1. Adrienne et Joséphine. Trou poisson Iracoubo. Cayenne. Pantin. New York. Paris… Adrienne l’oubliée. Joséphine au Panthéon. Adrienne et Joséphine. Pour mémoire. Acéré.

  2. J’applaudis la tresse de lumière et d’ombre. Merci d’avoir allumé la lampe sur Adrienne et Galmot dont j’ignorais tout.

    • Merci. J’ignorais tout moi-même avant de me pencher sur les émeutes qui ont agité Cayenne les 7 et 8 août 1928 (7morts) suite à la mort de Jean Galmot et du procès qui a suivi en 1930 et s’est terminé par l’acquittement des 14 accusés (après une défense exemplaire par Gaston Monnerville).