autobiographies #08 | pointillisme

Vert pâle ; un peu gris-bleu ; entre tilleul et céladon ; comme cette porcelaine soyeux ; comme une peau ; une seule fleur par panneau ; longue tige s’élançant du sol ; d’un vert plus foncé que le fond peut-être un rien plus jaune ; les cinq pétales de forme triangulaire  nacrées ; autour du petit soleil  formé par la boule jaune pâle du pistil ;  d’où jaillissent les étamines d’or ; avec impétuosité ; sur les deux grands côtés de la chambre ; sur les petits côtés papier plus épais ; gaufré à rayures verticales ; c’est un papier-peint « combiné » ; rayures ivoire et vert pâle ; plus pâle que le vert des feuillages dans la grande fenêtre ; une vieille fenêtre difficile à fermer ; un vert vif, audacieux ; les branches du hêtre jusqu’à caresser la vitre ; le battant ouvert délivrer les oiseaux ; l’air chaud ; l’été ; après quoi les feuilles devenir jaunes puis rousses ; se raréfier peu à peu dans la fenêtre jusqu’au bois nu des arbres ; plus beaucoup d’oiseaux ; et là c’était triste ; sauf quand il neigeait ; quand tout était blanc dans le jardin ; silence de coton ; qu’elle contemplait assise sur le lit ; le dos appuyé à une tige des grandes fleurs ; c’est un lit bateau en acajou ; il commence à devenir un peu court ; mais quand cette enfant s’arrêtera-t-elle de grandir ; le dessus-de-lit est en velours ; marron foncé ; comme la moquette du même marron foncé ; couleur chocolat ; au pied du lit, un petit secrétaire à abattant imitation ancien ; pour les devoirs ; en bois brut passé au brou de noix ; il y a une feuille de maroquin vert foncé collée à l’intérieur de l’abattant ; avec du doré, une frise tout autour ; des petites étagères, un tiroir secret ; et en bas deux portes et une petite clef ; c’est là qu’elle doit ranger ses cahiers je ne vois rien traîner sur la moquette ; ni sur le lit ; face au secrétaire, une commode à trois tiroirs avec poignées en laiton ; même style ; achetés ensemble chez Lévitan ; au-dessus de la commode un miroir rond ; avec sa frange, elle ressemble un peu à Audrey Hepburn ; sur le haut du secrétaire une lampe Art Déco, sa hampe de cuivre ; surmontée d’un anneau en forme de cœur ; d’où part une tige à laquelle se balancent les bords dentelés de sa corolle vert jade ; un lutrin vers la fenêtre ; orienté pour que la lumière tombe sur la partition ; l’étui du violon est posé par terre, fermé ; sur la moquette marron ; marron pareil le tissu qui tapisse la porte mais c’est pas du velours comme sur le lit ; le velours ça prend la poussière ; plutôt un reps peu voluptueux ; mais résistant ; recouvrant les boîtes à œufs ; pour l’insonorisation ; la chambre est petite ; en forme de rectangle ; la porte fait face à la fenêtre  sur l’autre petit côté à rayures ; il y a deux portes ; l’une contre l’autre ; à ouvrir et à fermer ; l’une après l’autre ; la manœuvre est délicate ; ce mince espace entre les deux portes ; elle se dit c’est comme ça que je suis ; c’est là ; entre les deux portes ; comme la Panthère Rose ; elle se voit en Panthère Rose quand elle passe entre les deux portes ;

bleues les tentures ; bleu dur bleu moyen bleu ; encadrant l’alcôve ; une alcôve de Don Juan ; parfum musqué ; mais c’était peut-être sa peau ; lui accroupi devant la cheminée ; respiration du soufflet crépitement des brindilles ; choc sourd d’une bûche qui se rend ; il faut être amoureux pour réussir un feu ; les flammes sont la seule source de lumière dans la pièce ; ça danse ; plafond bas poutres noires, un vieil appartement ; accrochés aux murs des vêtements ; des clous ; leurs ombres ; deux fenêtres ; sans rideaux ; pleines de nuit ; devant celle de gauche l’ombre d’une petite table ; brillance de la machine à écrire et le blanc des papiers ; dans l’autre coin contre le mur la masse des étuis de guitare ; l’une d’elle est nue appuyée à la table ; le sol est pavé de petites tommettes beige-rosé ; usées satinées ; fraîches au pied ; un téléphone posé ; décroché ; l’écouteur sur les tommettes  abandonné ventre en l’air ; au bout de son fil noir ; ce qu’on appelle un vieux téléphone ; un combiné ; avec le grand cadran transparent qu’on fait tourner de l’index pour composer ; autre fil noir, plus long ; croisant le fil du radiateur électrique à roulettes ; blanc ; feuilles d’eucalyptus posées dessus ; l’odeur d’eucalyptus dans les nuits d’hiver ; parfum musqué de l’alcôve ; c’était peut-être sa peau ;

la pièce est toute en longueur ; salon marocain traditionnel en miniature ; parois recouvertes d’un haïk en épais velours représentant une série d’arcades d’un blanc cassé sur fond bleu roi ; les banquettes courent le long de trois côtés ; le petit est une cloison en bois ; fine ; peinte à la main de minutieux motifs géométriques très colorés ; changeant selon la lumière ; une ouverture y est découpée ; en forme de serrure fleurie ; plus haute que le niveau de la banquette, au-dessus de ce que serait le dossier ; une frise borde l’ouverture ; souligne l’ouverture ; qui donne sur la minuscule chambre à coucher ; velours frappé fond noir, larges fleurs couleur fuchsiah sur les banquettes ; et les coussins ; énormes ; trois fenêtres garnies de rideaux ; en satinette à dominance rouge ; doublés ; bordés d’une dentelle ; des petits placards en merisier alignés ; portes aux parements cuspidés répétitifs ; accrochés sous le plafond ; on touche facilement la satinette qui tapisse le plafond ; à dominance rouge ; l’espace  peut-être neuf mètres carrés ; judicieusement aménagé pour sept personnes y vivre ; plusieurs mois ; un tout petit évier juxtaposé à la banquette ; face à l’évier un cube noir ; le frigo ; et un réchaud à deux feux ; et puis l’entrée en forme de serrure fleurie, réplique de celle donnant sur la chambre à coucher ; une cloison identique ; ouverture pareille ; mais donnant sur le vestibule ; qui est la cabine du chauffeur ; encombrée de paires de chaussures ; bottes ; babouches ; tongs ; et la pièce bouge ; la pièce roule sur une route d’Espagne ; il fait très chaud toutes les fenêtres sont ouvertes ; les rideaux dansent ; le mouvement régulier, le bercement ; les arbres et les maisons glissent ; des deux côtés ; le moteur ne s’entend plus ; on est habitués ; on pose la bouilloire sur le réchaud ; on tasse les feuilles de menthe dans la théière ; on verse le liquide bouillant dans les petits verres ; sans en renverser, on connaît les gestes ; on prévoit les tournants, on suspend ; dans une stabilité que rien ne peut troubler ; une stabilité vertigineuse ; plus posée que l’immobilité ; c’est le monde qui tourne autour du camion ; autour de la maison ;

c’est une grande maison ; massive, épatée, un peu bête dans la pleine lumière apparue au sortir du petit chemin en tonnelle ; en longue tonnelle en tunnel de branches et de feuilles ; ancien moulin qui a pris des allures de manoir ; embellissements des propriétaires successifs ; mais la cuisine est bien paysanne ; immense, haute ; toujours chaude quelle que soit la saison ; bien qu’on ne fasse plus de feu dans l’âtre monumental ; on y met des pots de fleurs ; le frigo géant, les deux gazinières ; prévus pour de nombreux convives ; comme la longue table en bois sombre flanquée de deux bancs très durs ; qu’on enjambe pour s’asseoir ; le haut bout est réservé au maître de maison ; le seul à bénéficier d’une chaise ; vastes plats de charcuterie, mosaïque de mosaïques des rondelles de saucissons ; salami rose fardé ; galantine brune aux yeux verts ; rayures oranges et blanches du jambon de Bayonne et rose pâle du jambon cru ; sur le brun presque noir de la table ; vin rouge ; plusieurs bouteilles ; une cave bien garnie ; pommes frites poulets rôtis ; on parle fort on rit beaucoup ; plateaux de fromages ; repas animés ; les enfants feront la vaisselle dit le maître ; les enfants feront la vaisselle puis s’envoleront ; par le large escalier de bois à la rampe cannelée ; jusqu’au grenier ; matelas par terre couvertures bouchonnées ; batailles de polochons ; la lune à travers le velux ; parties de cartes ; premières amours ; pendant que les adultes deux étages plus bas ; boivent la fine en écoutant le maître ; avec déférence ;

une pension de famille allemande où la famille rejoignait le père en été ; pour les grandes vacances ; très propre on mangerait par terre ; odeur de choucroute et de bière ; dans la salle du bas où les adultes s’attardent après avoir couché les enfants ; où les murs sont enjolivés de têtes de bêtes empaillées ; cerfs, sangliers ; loups ; cauchemars ; la chambre est au premier ; parquet si ciré dentelle blanche à la fenêtre papier-peint à toutes petites fleurs ; violettes ; photos de forêts enneigées sur les murs blanc crème ; deux lits énormes ; c’est pour la Princesse au Petit Pois ; édredons blancs gonflés de plumes ; faudrait une échelle pour y grimper ; montagnes de neige ; nuages ; à secouer ; à sauter ; à s’enrouler à la taille ; ça vous balance aux jambes ; robes à paniers; elles sont la Papovski et madame de Fleurville en route pour la Russie ; faut lever haut le pied pour grimper dans la diligence ; parfois un laquais doit vous pousser au derrière ; des fois on tombe par terre, sur la descente de lit ; à longs poils ; tellement on rit qu’on a mal au ventre ; il y a deux diligences ; on en change pour laisser reposer les chevaux ; descendre ; remonter ; sans perdre sa robe à panier ; ni son chapeau-oreiller chargé de fleurs de fruits ; d’oiseaux; dans la diligence on est secoué ; la route est mauvaise ; pleine de trous-bosses ; on est très secoué ; par la fenêtre de la diligence la forêt Noire sous la neige ; on entre dans la forêt on est dans la forêt ; Noire ; la forêt Noire est pleine de bandits ; attaque de la diligence ; arrachement les robes à paniers ; les petites filles crient comme des folles ; diables à ressorts perchés sur le haut des lits ; la porte s’ouvre ; entrée du Père ; fin du voyage ; abrupte ;

A propos de bizaz

chanteuse de chansons - voyageuse sans itinéraire prévu.

2 commentaires à propos de “autobiographies #08 | pointillisme”

  1. 1er paragraphe : frappée par les couleurs, les matières, la précision. Effet étrange que cette juxtaposition du présent, la matière au présent, et cette personne que l’on vient y injecter, comme une petite poupée que l’on glisserait soudain dans une maison de poupée, ou alors comme un courant chaud, dans une eau jusqu’ici froide, stable et statique. Un mélange étrange de mouvement et d’immobilité, de statique et de profondeur temporelle. 2e paragraphe : j’y suis, dans ce monde de reflets et d’odeurs, une petite touche par ci, une petite touche par là, comme du blanc, et cette suspension légère, discrètement capiteuse pourtant, à la fin. 3e paragraphe : bizarrerie de détail, comme des motifs alambiqués sur un plat de cuivre, puis à la fin cette grâce du mouvement, j’ai l’impression d’un coup de me promener sur le dos d’un éléphant, je ne m’y attendais pas, c’est assez confortable. 4e paragraphe, ça baffre, ça bouffe, ça jouit, autre univers, un tableau flamand. Et le 5e, mélange de fictions, de passé, ça gesticule et le carnaval se poursuit. Chouette voyage. Merci.

  2. Précise analyse. étonnant comme un texte s’enrichit dans le regard de l’autre. il en ressort tout mouillé. couvert de gouttelettes.