autobiographies #15 | énigme des serrures et des targettes | Onirisme

Tu pars d’une photo. Tu as encore rêvé d’une maison et aussi d’artichaut cueilli au réveil. Tu sais d’où vient l’image. Elle est dans le film de Charlotte Gainsbourg sur sa mère.

Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin – Photo source internet

Un plan serré dans la cuisine et cet artichaut un peu trop sec sur la gauche. Tu t’es dit – j’ai le même problème. Les artichauts doivent être cuits presque aussitôt cueillis. C’est comme les paroles et les mots lorsqu’il y a urgence à les garder au frais, au plus près de la conscience. Les artichauts dans les jardins sont de pures merveilles, leur houppe violette de punk semble narguer les autres plantes et si on s’écoutait, on les laisserait grandir encore pour savoir jusqu’à quelle beauté ils pourraient encore monter… Mais on les coupe net … Leur houppe se transforme en foin dont les brins empalent la gorge… il faut un geste chirurgical pour manger le coeur, juste avant, c’est l’effeuillage minutieux et lent qui aboutit à un geste buccal de raclage de la pulpe, un goût sucré derrière les dents qui me ravit et me frustre toujours. Tu en mangerais sur la tête d’un pouilleux disait ta mère. L’écriture est ainsi, on effeuille beaucoup avant de trouver ce qui est bon à dire, bon pour soi, mais pour les autres, on ne sait pas, on ne sait jamais en fait. A part la rencontre de l’artichaut que je vous souhaite, est-ce que le rêve avait un sens, un message particulier à délivrer ? Tu l’ignores, elles aussi.

Plus tu écris et plus tu as envie d’écrire. C’est une boulimie inquiétante. Tu avais celle de la lecture, juste avant. Tu as décidé d’écrire directement, sans même relire les consignes d’atelier. Tu ne vas pas tarder à t’attirer des remarques. Mais pour l’instant, c’est le calme plat… Tu n’as pas vraiment besoin des textes des autres pour démarrer et persévérer. C’est le premier Atelier d’écriture de ta vie et tu ne sais vraiment pas où ça va te mener. C’est un jeu, mais très sérieux. Tu as franchi le pas. Le numérique te plaît car il peut s’effacer à volonté. Peu importe les traces, ce que tu écris n’est pas confidentiel. La vanne de l’imagination et de la motivation est grand ouverte. Tu mélanges le réel et le fictionnel avec facilité et enthousiasme. Tu devrais te méfier de ne pas t’enfermer dans ta citadelle de réminiscences. Le passé et le présent se combinent et tu laisses faire, pour l’instant cela te convient. Tu ne cherches pas à plaire ni à convaincre. Tu n’as rien à vendre et tu paies une infime obole au site pour pouvoir t’exprimer à ta mesure. Tu t’amuses en fait. Les phrases coulent comme le jus des fruits. Il faudrait que tu contrôles l’acidité et que tu écartes les pépins. Ton franc parler t’a valu parfois de petites crispations d’internautes. Tu ne l’envoies pas dire… Mais tu essaies de t’amender et de t’adoucir. Tu aimes les émotions moyennes et le respect des intimités. Tu aimes bien racler l’intérieur de l’écorce jusqu’à la partie blanche protectrice pour les agrumes. Les portes de la mémoire se poussent lorsqu’on l’a vraiment décidé. Les portes de la perception sont toujours encombrées mais elles pourvoient en possibilités de manière incroyable. Ta vie sensorielle t’apporte de nouvelles pistes. Tu la convoques volontiers. Tes émotions sont comme en retrait. L’écriture est une chambre personnelle. Virginia WOOLF avait raison. Les chambres d’écritures sont variées pour toi. Tu as commencé à écrire dans des bistrots en sortant du travail avec, à portée de main des livres achetés à la Librairie des Nouveautés, rachetée par une banque… Certains livres n’étaient même pas utilisables d’emblée, tu réclamais un couteau pour ouvrir les pages… Il ne fallait pas les déchirer n’importe comment. Sensation étrange d’ouvrir un livre page par page, comme on mange un artichaut ?

Les fils inducteurs





A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.