autobiographies #03 | negundo

Un arbre. Celui puissant vu récemment arbre pas arbre portrait d’arbre devenu repère modèle référence de tous ces arbres croisés depuis compagnons d’errance ou de marche forcée. Mais de l’enfance, je ne sais. Il y avait bien cet arbre au milieu du jardin. On l’appelait l’érable, on ne sympathisait pas. Nous ne soupçonnions pas qu’il avait un autre nom : acer negundo variegatum. Fallait-il et quand tailler l’érable ? Le père le faisait puis plus tard, un jardinier venait. En têtard, ses branches en hauteur pour qu’il ne nous, les enfants, soit pas possible d’y grimper. Les matins de printemps frais et, peut-être, plus tôt quand nous habitions là à plein temps, les matins d’hiver de bord de mer, elles alimentaient la chaleur douce du poêle et dégourdissaient la petite maison. L’été, il donnait ombre, fraicheur quand il faisait si chaud au retour de la plage dans le jardin plein sud. Il poussait dans le sable du jardin. La mer était si proche, où trouvait-il son eau pour faire pousser tout ça ? Le vent de la mer secouait ses feuilles foliolées panachées vertes et blanches, nous les ramassions au printemps. Le souvenir m’est lointain et flou de ses fruits, samares supposées doubles chez les acer. Nous ne jouions pas, je crois, à nous les mettre sur le nez, nous ne copinions pas. Son tronc était large, reposait au sol, pied de grosse bête, son écorce blanche et brune s’écaillait parfois. Dans les années 80, il poussait moins vite, il était malade, il faiblissait. Il occupait une place incroyable dans ce jardin, nous ne voyions que lui, pourtant compagnon de loin : nous n’étions pas là pour l’arbre, nous étions là pour la mer, le soleil. Ce qui nous était vivant, ce qui nous donnait impression de liberté, c’était ça. Tout le reste, maison, iris, belles de nuit, pervenches, arbre, était élément de décor, ne nécessitant aucune considération ni dialogue de connivence.
Était-elle telle mon indifférence, moi qui quelques années plus tard allait commencer d’imprévisibles études d’agronomie ? Est-il pour quelque chose dans ce choix énigmatique toujours pas élucidé de tenter le concours de l’école des eaux et forêt ? Son portrait est partout autour de moi, dans L’art de connaître et dessiner les arbres de Jacques Simon, érable à feuilles de frêne, arbre d’ornement robuste, aspect gracieux en hiver, sans doute trop répandu ; dioïque, ce qui explique mon souvenir confus des samares, dans le Grand Larousse des plantes ; ses couleurs saisonnières, son occupation de l’espace dans l’Architecture des arbres de Leonardi et Stagi, espèce originaire d’Amérique introduite en Europe en 1688 dont le nom viendrait du sanscrit. Il était si imposant dans le jardin et nous étions tant soucieux de son ombre plus que de sa lumière et de sa vie que nous ne le voyions jamais en entier, nous n’en avons jamais pris la mesure, nous n’avons jamais fait connaissance. Oui, voilà, arbre d’ornement, arbre pour faire joli. Tu méritais mieux, l’érable mais pouvais-tu être autre chose ? Tu ne criais pas quand on coupait tes branches, tu ne fuyais pas. Tu remuais seulement tes feuilles quand le vent de la mer les caressait. Maintenant on sait que les arbres se parlent, s’envoient des messages, on parle de jardin en mouvement, tu discutais peut-être avec l’océan, le vent d’ouest comme messager. Je me verrais bien réincarné en arbre mais arbre sans racine, qui puisse aller où il veut, qui puisse choisir son origine, d’où il est. Sans toi aurais-je fait tout ça, aurais-je compris et salué le puissant et inspirant chêne de Courbet, le Chêne de Flagey au musée d’Ornans ? Un arbre sans racines, un arbre migrant, c’est vraiment un arbre ?

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.

6 commentaires à propos de “autobiographies #03 | negundo”

  1. étrange comme la couleur que je retiens de ce (fort, et pictural) texte, c’est la prégnance de l’article indéfini, le rôle abstrait que peut prendre ce «un», de l’incipit à la fin…

  2. « Il poussait dans le sable du jardin. La mer était si proche, où trouvait-il son eau pour faire pousser tout ça ? Le vent de la mer secouait ses feuilles foliolées panachées vertes et blanches, nous les ramassions au printemps. Le souvenir m’est lointain et flou de ses fruits, samares supposées doubles chez les acer. Nous ne jouions pas, je crois, à nous les mettre sur le nez, nous ne copinions pas. Son tronc était large, reposait au sol, pied de grosse bête, son écorce blanche et brune s’écaillait parfois… » Merci. Emportée.