Ça partirait de là…ça pourrait donner ça…

Ça partirait de là…

« Assis couché DEBOUT assis couché DEBOUT bien dressé au garde-à-vous qu’il est de bout en bout fait tout dans l’ordre tout comme il faut dressé qu’il est et pendant que l’ordre à képi s’entête assis couché DEBOUT et que le corps obéit la tête elle vagabonde se souvient d’un bout de dictée les pins bleus DEBOUT sur l’horizon c’est joli tiens ça se souvient encore assis à sa table à tirer la langue pour étirer une écriture bien droite tout comme il faut comme là maintenant une écriture DEBOUT tandis que lui assis tire la langue s’applique se demande pourquoi les pins sont bleus DEBOUT oui mais bleus DEBOUT ça prend un s les pins bleus DEBOUT de la terre jusqu’au ciel amen s’embrouille dans les accords et se noie dans le bleu des pins DEBOUT droits comme des i sur la ligne de l’horizon ils écrivent bien les pins DEBOUT sur l’horizon mais lui c’est le bleu qui le turlupine »

« le fait divers qui s’invite sur la table en formica les pieds dans le plat »

Ça pourrait donner ça…

Hypothèse n°1 : Le père (ce pourrait être un récit d’enfance : le souvenir grossirait et passerait au premier plan)

Ce serait un mardi de mars par exemple, dans la salle de classe. Il redresserait la tête, la nuque endolorie par l’effort de la dictée, et lèverait son regard dans le carré bleu du ciel, s’étonnant presque de trouver par la fenêtre un platane en guise de pin bleu tant il se serait abîmé dans le paysage de la dictée. Le directeur viendrait alors chercher le garçon au beau milieu des mots. Dans son bureau, la mère les yeux gonflés. L’usine a appelé. Un accident. Un malaise dans la cale d’un bateau. Pas de masque. Accident de travail. Le père est mort. On l’enterrerait un 5 mars. Le jour de ses 8 ans… Le garçon se serait alors demandé comment on peut encore tenir debout sur l’horizon quand on a perdu un père, quand on est déraciné. Le bleu des pins, le bleu de l’encre sur ses mains, le bleu du ciel du jour de l’enterrement. Trop de bleus décidément.

Hypothèse n°2 : Activisme (ce pourrait être un roman ancré dans la réalité contemporaine, une histoire de revanche sociale, un déploiement du DEBOUT)

Après avoir longtemps courbé l’échine, l’homme aux pins bleus aura finalement levé la tête. Il aura fait taire les ordres aboyés. Il leur aura fait avaler leur képi. Il aura porté des banderoles, hurlé des mots d’ordre qui appellent au désordre. Il aura brandi le poing. Il aura marché tête levée, hurlé des slogans à s’en crever la voix, chanté des hymnes à remuer les morts et les vivants. Pour faire taire l’humiliation. Pour le sourire d’Inès aussi (un peu de romance ne gâche rien). Il aura rejoint la ZAD de la Dune pour les pins, le bleu de la mer, les grandes marées, la dune et le marais, et les yeux d’algues d’Inès. Il faudrait alors mener l’enquête, aller sur place sans doute, interroger, écouter, comprendre comment naît et se sédimente une lutte, un engagement. Ce serait cette histoire-là. Ou peut-être des histoires : une sorte de roman choral où l’individuel ferait collectif : une somme d’histoires, d’engagements, de convictions qui font naître l’élan…

Hypothèse n°3 : Faits divers (ce pourrait être une nouvelle : « La table en formica blanc » ou « Prophétie auto-réalisatrice »)

Tout tournerait autour de la table en formica blanc, une sorte d’objet totem… qui verrait passer trois voire quatre générations : l’arrière-grand-mère, la grand-mère, le fils qui deviendrait le père, la petite fille. C’est assis à la table en formica blanc que le père, l’homme aux pins bleus de la dictée, un jour de devoirs, langue tirée, s’appliquant penché sur le cahier, la plume, l’encre bleue sur les doigts apprendrait la nouvelle. C’est autour de la table en formica blanc et  du garçon bleu d’encre et de mots que poisserait l’amour démesuré de la mère et sa peur et son angoisse déjà, attirant la mort à elle, Cassandre domestique qui trop embrasse mal étreint. C’est sur la table en formica blanc que la petite fille, l’aînée de la l’homme aux pins bleus de la dictée, vingt ans plus tard mangerait ses carottes orange un samedi soir de tempête. C’est autour de la table en formica blanc que tournerait en boucle pour toujours et à jamais l’angoisse de la grand-mère, derviche-tourneur de la folie d’aimer. C’est au bout de la table en formica blanc que se tairait pour toujours et à jamais l’arrière-grand-mère quand ils apprendraient la nouvelle. L’homme aux pins bleus dans la petite deux-chevaux bleue dans le fossé.

Hypothèse n°4 (à l’état de titre) : Le jeune homme aux pins bleus (titre de tableau démarqué du tableau de Vermeer « La jeune fille à la perle »)

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !