Carnet individuel

Photo : Jérôme Cé, novembre 2019, quelque part en France

#40bis

Afin de faciliter le travail de guette et la prise de notes au quotidien, voici une fiche type que l’on pourra compléter sans obligatoirement s’imposer les 40 rubriques — liste non exhaustive.

Notes du…/…/…

Action (s) sur le réel :

Argent :

Attente (s) :

Aurais dû :

Aurais pas dû :

Ciel :

Conseil (s) :

Corps :

Croisé :

Écrire :

Embellir :

Entendu :

Fait (s) divers :

Flou :

Geste (s) :

Habit (s) :

Image (s) :

Imaginé :

Imprévu (s):

Lu :

Mort.e (s) :

Mot (s) :

Mouvement (s) :

Net :

Nom (s) propre (s) :

Pas voulu s’attarder :

Paysage (s) :

Pendant que :

Pensé :

Préféré ne pas :

Remarqué :

Ressassé :

Ressenti :

Ressouvenu :

Rêvé :

Secret (s) :

Senti :

Souvenu :

Visage (s) :

Vu :

#40

Version 480

abandonne tout, envoie balader tes vieux cahiers, tes vieux fichiers

abandonne d’écrire tant que tu n’as pas lu 1000&1 livres

abandonne 40 min de ta journée à la lecture et 40 autres à l’écriture

abandonne de raconter des histoires

abandonne l’inspiration ; guette dedans toi, guette dehors toi

abandonne le monde, pour l’écrire juste, ce monde

abandonne les émotions, retiens amont ton écriture

abandonne tes livres préférés aux rayons de ta médiathèque préférée

abandonne ces 480 signes

Version bloc

pour ton travail de notes pendant 40 jours, guette l’imprévu, ce qui flotte aux souvenirs, ce que tu aurais dû, ce que tu peux arracher à tes rêves/cauchemars, les couleurs et les formes du ciel, ce que toi seul·e remarque, les têtes, les patronymes et les toponymes croisés, ce sur quoi tu préfères ne pas t’attarder, ce qui vient pendant que, les cartes de ta vie, le dessous de la grisaille, quand tu arrêtes le monde, les images mouvement, les bribes de paroles, les habits, ce qui peut embellir ta ville, tes lectures, toi vers les autres, toi avec de l’argent, tes gestes de rien, tes actions sur le réel, tes paysages, toi qui attends, ton corps — ton corps fragment, ce qui est net et ce qui est flou, quand tu te vois vivre, ce qui te mâche, ce que tu n’aurais pas dû, les faits divers, ce que tu ne peux pas ne pas dire du monde, la présence de tes morts, comment tu vides ton dedans de toi, ce que tu aurais pu lire chez tes préféré.e.s, quand tu cherches un mot, ton comment lire/écrire quotidien, ces phrases qui t’empoignent à la lecture, quand tu rêves/cauchemardes, tes secrets, les conseils ami.e.s

Version liste

pour ton travail de notes pendant 40 jours, guette :

  1. l’imprévu
  2. ce qui flotte aux souvenirs
  3. ce que tu aurais dû
  4. ce que tu peux arracher à tes rêves/cauchemars
  5. les couleurs et les formes du ciel
  6. ce que toi seul·e remarque
  7. les têtes
  8. les patronymes et les toponymes
  9. ce sur quoi tu préfères ne pas t’attarder
  10. ce qui vient pendant que
  11. les cartes de ta vie
  12. le dessous de la grisaille
  13. quand tu arrêtes le monde
  14. les images mouvement
  15. les bribes de paroles
  16. les habits
  17. ce qui peut embellir ta ville
  18. tes lectures
  19. toi vers les autres
  20. toi avec de l’argent
  21. tes gestes de rien
  22. tes actions sur le réel
  23. tes paysages
  24. toi qui attends
  25. ton corps — ton corps fragment
  26. ce qui est net et ce qui est flou
  27. quand tu te vois vivre
  28. ce qui te mâche
  29. ce que tu n’aurais pas dû
  30. les faits divers
  31. ce que tu ne peux pas ne pas dire du monde
  32. la présence de tes morts
  33. comment tu vides ton dedans de toi
  34. ce que tu aurais pu lire chez tes préféré.e.s
  35. quand tu cherches un mot
  36. ton comment lire/écrire quotidien
  37. ces phrases qui t’empoignent à la lecture
  38. quand tu rêves/cauchemardes
  39. tes secrets
  40. les conseils ami.e.s

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#1

Lecture des dernières pages de « L’homme qui tua Roland Barthes » de Thomas Clerc. Et toi, si tu devais écrire ton « homme qui tua… », qui pour assassin ? qui pour victime ?

#2

L’hiver et son petit jour gris entre deux nuits, le vent aux flancs des montagnes, l’odeur de la biscuiterie industrielle sur la ville : sucrée, douce, peut-être un peu caramel.

#3

au rayon fruits et légumes, cette conversation entre un client et l’étalagiste : on pourrait en faire un roman, vous me donnez une idée, vous rigolez, mais je vais vous dire… Le client s’approche et lui parle à voix basse, je m’éloigne avec mes pommes

#4

de la confusion du réveil ça qu’on s’arrache au dedans du crâne : « quoi qu’il en soit »

#5

7h33 : loques roses, grises, bleues effilochées depuis l’Ouest. Ensuite, la grisaille qui emporte tout. Aujourd’hui encore, « Le soleil n’est pas pour nous » Léo Malet.

#6

personne d’autre que moi n’aurait remarqué que je n’ai plus toute ma tête

#7

| sa tête de con à lui avec ses propos racistes plein la gueule | cette tête de momie à travers la vitrine de la boutique de chaussures | elle une tête de trop au-dessus des autres très au-dessus |

#8

Tacoma Galina Nikolaievna La Kolyma Nicolas Werth Ethel Caïn Zola Jésus Nick Cave Olivier Cadiot

#9

ne pas s’attarder sur ton malaise depuis qu’Elle, son contrat non renouvelé pour avoir résisté, pour l’avoir un peu trop ouverte, ne pas s’attarder sur comment Elle a encaissé l’arbitraire, ne pas s’attarder sur comment l’hiver va être dur pour elle, ne pas s’attarder sur ton soutien du bout des lèvres, ne pas s’attarder sur comment toi minable quand elle a remercié, ne pas s’attarder sur ce sentiment de ta lâcheté, ne pas s’attarder sur ton reflet dans la glace depuis

#10

pendant que je note ma liste j’espère ne rien oublier, pendant que je suis au feu j’ai peur que le « stop and start » ne reparte plus, pendant que je file dans l’allée centrale les jouets me font les gros yeux, pendant que je choisis du dentifrice je me dis que j’en ai marre du coco, pendant que j’attends à la caisse je ne regarde pas les autres, pendant que je passe devant le vigile toujours ce frisson, pendant que je regagne le parking je me demande ce que j’ai pu oublier

#11

Deuxième année de maternelle. Rassemblés en demi-cercle autour du lourd bureau gris, la maîtresse nous lit l’histoire du berger Jean d’Engadine. Au premier rang, je m’appuie contre le meuble de fer. Un de mes grands-pères se nomme Jean, l’autre garde des chèvres. Dans un faux mouvement je heurte le bureau, ma lèvre éclate, sanglante. Adolescent, les jeux de rôle m’amènent à la lecture de Tolkien. J’écris et illustre un guide imaginaire sur une cité médiévale et fantastique.

#12

/Brouillard/ laiteux sur la /grisaille/ de la ville. Mots os sur cet informe sans fond. Phrases carcasses pour /broussailles/ de textes sombres. Parfois virent au noir colère. Parfois aussi, écrire la violence et l’éclat d’un monochrome jaune, d’un vert forêt ou bleu charron.

#13

Dans l’évier, au fond de la vieille bassine grise et serrés l’un l’autre dans un reste d’eau grasse, les deux couteaux laguioles du petit déjeuner. La corne multicolore de leurs manches fissurée et en partie brisée.

#14

Nuit du petit jour. Rouler. Ce gars qui marche au bord de la route. Tête chiffon et éclat dans les yeux du chien qui l’accompagne.

#15

Avec une inflation à six degrés. Ça va me reposer la tête. Regardez-moi, regardez mes yeux s’il vous plaît. Malaise vagal il a pas déjeuné. C’est quoi défaillir ? Les journées sont lentes. Il patine, il patine dans sa tête. C’est compliqué à écrire, j’ai recommencé trois fois mon mail, vous voulez bien leur dire à ma place ?

#16

Blouson teddy noir à manches vertes, gros A sur le cœur.

T-shirt Snoopy vert foncé sur chandail moulant noir.

Sweat-shirt noir à capuche, gros logo Nike en blanc sur le devant.

Pull bleu marine à grosses mailles.

Peignoir en éponge beige.

Blouson bombers kaki en nylon à doublure orange.

Blouse toute blanche avec boutons-pression.

Blouse avec liseré azur sur tous les ourlets et boutons-pression.

Blouse avec liseré violet sur tous les ourlets et boutons-pression.

Blouse avec liseré turquoise sur tous les ourlets et boutons-pression.

Blouse toute noire avec boutons-pression.

#17

Juste accrocher des mots. Des mots partout sur les rues de ma ville, sur les arbres de ma ville, aux façades des immeubles de ma ville, des petits mots de rien du tout pour regarder. Des petits mots tout seuls, posés sur le gris de ma ville. Des mots qui s’envoleront aux premières pluies.

#18

« Ensuite, ce sont les populations que l’on ne /laisse pas vivre/ et pour lesquelles le seul horizon reste la mort. Qu’il s’agisse des déportations, des camps de concentration ou de travail forcé, des coopératives agricoles, ce sont des milliers d’individus réduits en esclavage et privés de toute liberté de vie et pour lesquels le régime n’a pas d’autre ambition que de les user jusqu’à la mort.

Et enfin, le dernier groupe, composé d’hommes et de femmes qui ne sont donc n v… »

Piocher dans le tas au bout de la planche. Celui-là, pas mal attendu avant de l’acheter, pas mal de temps aussi qu’il patiente. L’ouvrir au hasard : une note de bas de page, elle occupe les trois quarts de la 69. Aller plus loin : 141. Premier alinéa. Incapable d’identifier la typo. Demander à Nord Compo. Un paragraphe et un bout du suivant pour les 480 signes. Pendant la recopie et le texte miroir, environ quarante minutes du Da Pacem de Pärt écoulées dans la nuit du samedi.

#19

Le salut au barbu fluo avec panneau rond vert et rouge. Régule la circulation du matin sur le chantier avant mise en route du feu provisoire. Danse au son de ses écouteurs.

Devant la loge de l’accueil, la caresse au chat roux. Son oreille droite cassée.

L’employée gothique d’où tu viens retirer ton colis. Remercie pour le bonjour et indique que nombreux plantés là pour être servis, sans rien dire.

Et là maintenant, le « comment va ? » du grand-père qui résonne depuis si loin.

#20

Entrer dans son petit bureau. Nombreux à profiter de la pause pour passer. Toujours un truc à demander. Attendre que le précédent sorte. Parfois, il offre un café ou un chocolat. Sans le déranger de derrière son écran, repérer et s’avancer vers la boîte vide de ramettes de papier. Écrit en gros au feutre noir sur le côté : retraite C. Glisser l’argent dans la fente découpée sur le couvercle. Sûr qu’il a regardé en douce la couleur du billet qu’on a mis.

#21

Placer là, sur le trottoir de façon à laisser un passage pour les noctambules mais pas trop en retrait pour diminuer leur distance à parcourir. Tourner poignée vers la rue pour faciliter leur geste de ripper. Aligner strictement avec en face. Un seul arrêt de nécessaire pour le camion. Les gyros orange à tourner dans la nuit et au plafond, les couinements des vérins, le démarrage en pente douce. Se rendormir.

#22

Non pas se débarrasser, partager. Là où les poubelles. Minuit, il a plu. Une pochette en appui contre le muret. Exploration du flux, Marina Skalova. Petit volume, deux pages cornées, deux passages marqués en gris :

« on mobilise des hommes et on déploie des soldats »

« des hommes, des femmes, des enfants ont continué à se noyer

il n’y a plus à dire que cela

cette phrase seulement

elle dit tout et annule le reste»

Au moins, qui trouvera pourra vendre en ligne ou en vide grenier.

#23

devant ta fenêtre sont passés :

1 tourterelle

1 bus

1 volatile inconnu

3 scooters

10 petits utilitaires

11 automobiles

480 secondes

et dans le cadre aussi :

1 ciel sans nuage

1 poteau contre les dépôts sauvages

1 muret crépi beige et 1 haie de lauriers très dense

1 lourd et long portail vert anglais

2 voies goudronnées à marquage blanc

2 pylônes électriques avec lampadaires reliés par 4 câbles

2 × 2 arceaux blancs contre le parking sauvage

3 bacs poubelles gris à couvercles verts et roulettes

#24

Ils ne tombent pas, ils ne montent pas, ils arrivent, ils s’infiltrent, ils s’insinuent ensemble, ils se renforcent. Et puis ils sont là, la nuit et son froid. Ils sont là maintenant, augmentés par l’éclat du lampadaire. Ils sont là, surlignés par le ruban des phares. Ils sont là, épaissis par la condensation des échappements. La nuit et son froid, trop vite, ils crachent et avalent des formes d’ombres avec des têtes aux volants. Et tout au-dessus, l’œil de la ville.

#25

molle flasque et vague — ondules gracieuse — pendouilles loque plutôt — ballottes — vieille chair laiteuse de muscle déserté — de muscle atrophié sous — flapie — flapie et usée — usée et pelée — pelée et distendue — aujourd’hui en trop — te traîner — te porter — te supporter — encore — même si mal dans toi — sac — sac à carcasse — sac à os — toi peau

26

le net le flou
– l’arrière des voitures qui précèdent

– la lumière du jour qui monte
– les claquements de la mécanique du portail
– le défilé des arbres sur les bords de la route
– la boule qui vrille le bide
– la rumeur dans la cour

#27

assis face écran depuis 25 minutes, à faire pivoter son fauteuil, à faire l’aller-retour fichier brouillon et proposition, sa jambe droite bat un rythme beaucoup trop rapide pour être celui qu’il écoute au casque, quelques mots alignés, presque tous aussitôt effacés, se redresse et jette un œil sur une photo perdue dans l’obscurité, se frotte le bout du nez, se tient la tête de la main gauche tandis que la droite écrase les touches, d’autres mots s’écrivent jusqu’à 480 signes

#28

consternant de te dire que oui à ton âge ta vie plus derrière que devant et que c’est du sombre qui s’avance pour toi mais aussi pour la vieille humanité pourtant comme tu l’attendais tant ce qu’ils t’ont vendu comme l’âge de la sagesse cette fameuse ataraxie de tes cours de philo pas pour toi tu repasseras t’aurais dû te méfier déjà ils t’avaient fait le coup avec la vingtaine le plus bel âge de la vie oui t’aurais bien dû te méfier ils sont où maintenant ceux qui disaient ça

#29

Appel manqué et aucun message, pas dans ses habitudes. Attendre la fin de journée ou la courte pause pour rappeler ? Choix deux. T’aurais pas dû. Ce nuage de sombre pour le reste du jour de travail, pas question de le partager. Tenir jusqu’au soir pour essayer de se rassurer de paroles. Alors d’ici là, comme si de rien : ça va ? oui merci, ça va. Peut-être ils la voient passer dans les yeux, l’ombre de ce nuage du non, en fait ça va pas du tout. Préférer les fermer, les yeux.

#30

Grenoble, début d’après-midi du mercredi 7 décembre 2022. Une vingtaine de personnes ont déboulé et volé dans une supérette. Pendant que les uns bloquaient les portes, d’autres dévalisaient. Selon la/le journaliste qui cite la police, les voleurs portaient des bonnets pour se cacher le visage et ont laissé des tracts « anticapitalistes » pour justifier leur action. L’article évoque une « razzia » et un « pillage ». Ce vol de « plus de 200 € », a eu lieu Square des Fusillés.

#31

Sur le fichier MP3 on entendrait une voix énumérer rapidement la liste, par ordre alphabétique, des noms — sans les prénoms — de tous les dictateurs actuels toujours en vie. Après chaque nom, on entendrait aussi la voix hurler « dégage ! ». Si possible, le « dégage », dans les langues des opposant.e.s. Sans doute, plusieurs prises pour cet enregistrement. Ça suffirait les 50 secondes pour les dire tous et leur crier dessus aux dictateurs de notre triste et sombre aujourd’hui ?

#32

Fossés et lisières du haut plateau, ces fleurs roses et violettes qui ondulent au bout de leurs longues tiges et, pour lui, cette habitude, ce presque rituel de demander, chaque été, de lui redire leur nom à ces épilobes. Alors ce nom, le faire tourner dans sa bouche, rouler sur la langue, l’étirer, le mastiquer, le savourer. Depuis, il est toujours là, avec elles, quand on passe sur le haut plateau fleuri.

#33

Parfois se retrancher de la vie et des pensées, se mettre de côté, en dehors des flux, s’envelopper dans une musique planante, la porte, les volets et les yeux fermés sur le jour, s’allonger et alors parfois aussi, s’assoupir un moment. C’est pas vider le dedans, juste l’anesthésier et s’oublier un peu soi. Parfois pourtant, il gueule tellement le dedans que rien d’autre à faire que continuer et pousser encore, jusqu’à ce que.

#34

En pleine ville, un habitant engraisse un coq pour lui faire la peau à l’approche des fêtes de fin d’année. Le chant du volatile perturbe les nuits du quartier tout entier. Le voisinage s’échauffe, menace ; la presse et les réseaux sociaux locaux relaient ; les autorités sont sommées d’intervenir. Ça ferait une histoire pour William Faulkner.

#35

En lisant, ces mots inconnus : notés à la volée ou soulignés, pages cornées. Promis, le CNRTL pour chercher, plus tard. Parfois, présomptueux, juste mémoriser le nouveau. Mais seul le souvenir reste : le mot tu l’as oublié. Interrompre ta lecture : vite, relire à rebours, remonter au hasard. Hier : « D’ici là » de John Berger — parle avec ses morts dans les villes — mot perdu mais retrouvé facile : un andain. Enfant, des andains tu en as vu faire beaucoup par tes morts à toi.

#36

Vérifier si pas de sms tombés dans la nuit sur l’écran du portable. Survoler des Mondes papier de la semaine passée pour repérer articles à lire plus tard. En route boulot, audio MP3, polar, SF ou fantastique. Sur l’ordi pro, messages de l’intranet, parfois devoir répondre/rédiger, souvent aussi, des notes manuscrites pour remarques toujours brèves. À la pause, vérifier encore les sms, prendre des nouvelles, abuser des émoticônes. Le soir, ordi perso, expédier lecture/écriture dossiers boulot et m@ils privés et survol réseaux sociaux. Enfin la nuit, césure/bascule pour l’écriture du dedans, écran sombre et clavier, au moins 40 minutes, tenir, s’y tenir, s’y cramponner. Accumulation virtuelle des fichiers. Parfois, cahier et stylo plume pour journal lecture/écriture, plaisir de ce geste de l’écrire papier. Ensuite, toujours finir la journée, l’achever par session lecture encore 40 minutes à minima. Tenté lecture tablette mais non, besoin sentir épaisseur. En journée parfois, quand moment d’attente ou déplacement ferroviaire longue distance, toujours un livre avec soi. Recommencer demain.

#37

Lue, soulignée, page cornée puis, à la fin de la lecture, recopiée dans un de ces petits carnets à spirale qu’on tient dans l’esprit du Verbier de Michel Volkovitch. Facile à retenir cette phrase que tu découvres, la trentaine passée. Elle claque comme un oriflamme. Depuis les Vies minuscules, depuis Joseph Roulin, ce sentiment que c’est des tiens que Michon te parle. Première fois que tu as vécu ça en littérature. Il t’a envoyé aussi lire du côté de Yoknapatawpha. Alors, dévot, tu suis ses publications. Aussi à cette époque, la mort pèse proche et lourde sur toi, jeune père dépassé. Cette phrase lapidaire, définitive, cinglante, bon résumé de toi, tu la prends et depuis elle t’accompagne. Tu trouvais même qu’elle aurait pu faire une belle épitaphe. Michon l’écrit dans « Trois auteurs » pour évoquer Sylvain Pitt, un poète oublié proche de Cingria et qui écrivit plus de 800 cahiers mais dont très peu furent publiés. Toi aujourd’hui, même si tu as multiplié les bouts de textes sans autre projet qu’écrire, tu te reconnais toujours, non pas tant dans Sylvain Pitt que dans cette phrase de Michon : « Il avait rêvé haut et peu réalisé ». Cette petite phrase où les « é » aident à mémoriser, elle monte avec son plus que parfait avant, brutale, de retomber. Cette petite phrase, elle dit et vaut pour combien de nous ?

#38

S’arracher. S’arracher à ces cauchemars où rôde cette force mauvaise, où cette force mauvaise paralyse ton corps, où tu sens que ton corps ne s’échappera plus, à jamais prisonnier du rêve mauvais. Alors, ça s’emballe, ça s’emballe dans ton crâne, tu forces. Tu forces panique dans ton crâne jusqu’à ce qu’enfin ça se déchire. Vraiment cette sensation d’une déchirure dans ton cerveau. Alors, vidé, enfin se réveiller, c’est toujours la nuit noire. Le plein noir de la nuit. Et si, une nuit, en toi plus cette force mentale d’en déchirer un de tes cauchemars ?

#39

c’est un secret

#40

Version 480

abandonne tout, envoie balader tes vieux cahiers, tes vieux fichiers

abandonne d’écrire tant que tu n’as pas lu 1000&1 livres

abandonne 40 min de ta journée à la lecture et 40 autres à l’écriture

abandonne de raconter des histoires

abandonne l’inspiration ; guette dedans toi, guette dehors toi

abandonne le monde, pour l’écrire juste, ce monde

abandonne les émotions, retiens amont ton écriture

abandonne tes livres préférés aux rayons de ta médiathèque préférée

abandonne ces 480 signes

Version bloc

pour ton travail de notes pendant 40 jours, guette l’imprévu, ce qui flotte aux souvenirs, ce que tu aurais dû, ce que tu peux arracher à tes rêves/cauchemars, les couleurs et les formes du ciel, ce que toi seul·e remarque, les têtes, les patronymes et les toponymes croisés, ce sur quoi tu préfères ne pas t’attarder, ce qui vient pendant que, les cartes de ta vie, le dessous de la grisaille, quand tu arrêtes le monde, les images mouvement, les bribes de paroles, les habits, ce qui peut embellir ta ville, tes lectures, toi vers les autres, toi avec de l’argent, tes gestes de rien, tes actions sur le réel, tes paysages, toi qui attends, ton corps — ton corps fragment, ce qui est net et ce qui est flou, quand tu te vois vivre, ce qui te mâche, ce que tu n’aurais pas dû, les faits divers, ce que tu ne peux pas ne pas dire du monde, la présence de tes morts, comment tu vides ton dedans de toi, ce que tu aurais pu lire chez tes préféré.e.s, quand tu cherches un mot, ton comment lire/écrire quotidien, ces phrases qui t’empoignent à la lecture, quand tu rêves/cauchemardes, tes secrets, les conseils ami.e.s

Version liste

pour ton travail de notes pendant 40 jours, guette :

  1. l’imprévu
  2. ce qui flotte aux souvenirs
  3. ce que tu aurais dû
  4. ce que tu peux arracher à tes rêves/cauchemars
  5. les couleurs et les formes du ciel
  6. ce que toi seul·e remarque
  7. les têtes
  8. les patronymes et les toponymes
  9. ce sur quoi tu préfères ne pas t’attarder
  10. ce qui vient pendant que
  11. les cartes de ta vie
  12. le dessous de la grisaille
  13. quand tu arrêtes le monde
  14. les images mouvement
  15. les bribes de paroles
  16. les habits
  17. ce qui peut embellir ta ville
  18. tes lectures
  19. toi vers les autres
  20. toi avec de l’argent
  21. tes gestes de rien
  22. tes actions sur le réel
  23. tes paysages
  24. toi qui attends
  25. ton corps — ton corps fragment
  26. ce qui est net et ce qui est flou
  27. quand tu te vois vivre
  28. ce qui te mâche
  29. ce que tu n’aurais pas dû
  30. les faits divers
  31. ce que tu ne peux pas ne pas dire du monde
  32. la présence de tes morts
  33. comment tu vides ton dedans de toi
  34. ce que tu aurais pu lire chez tes préféré.e.s
  35. quand tu cherches un mot
  36. ton comment lire/écrire quotidien
  37. ces phrases qui t’empoignent à la lecture
  38. quand tu rêves/cauchemardes
  39. tes secrets
  40. les conseils ami.e.s

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

5 commentaires à propos de “Carnet individuel”

  1. Bonsoir,
    j’avais vu votre carnet aux premiers jours puis plus, contente ce soir d’y revenir, contente de voir que cette question des noms a brassé – et pas seulement moi – et surtout sourtout le journal du carnet, qui le densifie, le remache et lui donne une consistance toute autre, vraiment interessante, merci de ce partage,