carnets individuels | Cécile Bouillot

#1 un steak haché saignant avec des pommes de terre coupées en petits carrés, cuites avec des oignons (sa recette) et avec des épinards à la crème parfumés d’une pincée de muscade (ma recette).

#2 Brune cheveux raides sur les épaules, yeux noirs, peau halée, 7 ans, air timide, presque triste, voix posée, faible intensité. De temps en temps un sourire te défigurait, te transformait, tu rayonnais. Émerveillée par ce brusque changement. Odeur enveloppante, savon, lait corporel, mains douces, larges joues. Être près de toi, même dans le silence, me calmait, me rassurait, moi agitée, angoissée, bruyante. 7 ans et stupéfaite par ta puissance invisible. Merci Florence Absire.

#3 Comme j’étais dans son quartier (arrondissement où je vais rarement) j’ai pensé à l’appeler pour aller boire un verre (c’était l’occasion) surtout qu’en ce moment je pense souvent à lui (c’est vrai). J’aurais aimé lui donner des nouvelles de la famille. Lui dire comment mes parents vieillissent. Ils sont toujours là, certes mais changés : précautionneux, ratatinés, heureux, angoissés, malheureux, enjoués. Et chez toi comment ça va ? Dis, comment vas-tu ? 

#4 Je t’aime

#5 Le ciel est éclairé par les obus des boche | Blanc, dense, épais, peu lumineux, comme les façades sales des immeubles | Les ciels, les ciels pourquoi tu me parles des ciels ? D’abord on ne dit pas ciels on dit cieux, notre père qui êtes au cieux | Tiens du bleu s’est mélangé au blanc | Du train lancé à vive allure la campagne défile, le ciel couleur éléphant, bouge à peine.

#6 Personne d’autre que moi n’aurait remarqué ce chewing-gum écrasé sur un pavé du port de Sète, j’y ai vu un vaillant moudjahidine enturbanné, une seule fente pour les yeux, une brindille au coin de la bouche, une fine plume sur le haut du front (petite fantaisie)

#7 yeux qui clignent sans interruption bouche qui se tord à répétition main qui va et vient d’une joue à l’autre gestes incessants | Chevelure longue noire sur les épaules grandes lunettes de vue cerclées de noir airpod blanc dans les oreilles regard rivé sur l’iPhone pouce agile balaie l’écran | Lèvres épaisses entourées de poils masque bleu sous le menton yeux écarquillés regard fixe respiration rapide balancement d’une jambe sur l’autre 

#8 Nicolas Masson Gisèle Halimi Lionel Becimol Marquise de Bauffremont Édouard Levé Mamie Nova Nicolas Nova Géraldine Lebas Farid Boudjellal Bénédicte Noël Dada Masilo Al Capone Glory Alleluia Jean-Édouard Bessiere Ennio Morricone Sylvie Vartan Michel Bizot Dorothée Pousséo Guillaume Apollinaire Isabelle Duquesne Daniel Jeanneteau Zoé Kazan

#9 Ne pas m’attarder sur ces adolescent.e.s polyhandicapé.e.s maltraité.e.s qui s’automutilent pour s’exprimer sur cette femme qui me demande des sous et je passe sur mes pensées morbides sur ma difficulté à rester droite sur l’acceptation de l’expression « rendre hommage » plutôt que « rendre femmage » sur la mort de Roberto qui s’est dit abandonné par Claire sur la nuit la peur l’oubli sur mon incapacité à développer donner du temps seulement accumuler sauter du coq à l’âne.

#10 Pendant que dehors ielles rigolent et parlent fort j’essaie de me rendormir Pendant que mon cœur bat je tricote tranquillement Pendant qu’il ne pleut pas allons donc au jardin nous casser les reins Pendant qu’elle mange des betteraves elle ne consomme pas d’héroïne Pendant que je joue du Apollinaire je ne pense pas aux promotions de Monoprix Pendant qu’il pleure les roses poussent Pendant que l’abeille virevolte les gorilles sont en cage Pendant qu’elle mange du riz il rit 

#11 J’ai d’abord lu Les Classiques, avec révérence et très impressionnée par l’art de l’écriture (d’ailleurs toujours tendance à penser d’abord que ce je lis est plutôt vrai, voir parfait puisque dans le livre). Longtemps je ne me suis pas autorisée à écrire. Mon rapport à l’écriture s’est développé plus tard grâce à certaines lectures plus contemporaines : les styles et les contenus moins structurés m’accueillaient en semblable, m’invitaient à m’exprimer, m’autorisaient à en être.

#12 Ma grisaille est ce que j’entends, ce que je vois, ce que je renifle, ce que je goûte, ce que je touche, ce qui me touche, provoque haine, plaisir, dégoût, tristesse, honte, malaise, ennui, colère, joie mais aussi, mais surtout reflux de l’inconscient, débordements, tabous, échappements, renvois. Ma grisaille est tout cela d’où émerge ma pensée, soudain elle organise, taille, colore, cisèle, travaille toute cette matière, ma main prend le stylo, j’écris! Le gris disparaît sous les mots.

#13 Tractopelle jaune majestueuse, au bout de ton long bras élégant articulé en trois points, un godet servile penche la tête, racle le sol, le gratte, le creuse, soulève jusqu’à un mètre une portion de trottoir compacte, énorme, la laisse retomber, elle s’éclate en plusieurs morceaux dans un bruit fracassant, fascinée, emmitouflée dans ma doudoune orange je les regarde travailler «Hé la p’tite dame vous êtes de la même couleur que nous» s’exclame un des ouvriers de chez Colas.

#15 Je t’avais dit que j’avais flashé|Oui mais maintenant avec les GPS, tu trouves tout|Mitterrand il a jamais vécu avec sa femme|Céleste le temps me presse|Mentir pour supporter c’est comme chier et pas se laver|J’adore les légumes rôtis au four |La fille à son frère la branleuse|Autant nous mettre à genoux les mains derrière la tête et nous tirer une balle ça ira plus vite|Les gens se souviennent de la campagne|Mais gros au bout d’un moment t’as du désir|à demain à deux pieds 

#16 Manteau court orange avec grand col de fausse fourrure noir placé comme un châle. Costume veste et pantalon vert sapin en velours uni sans cote, tout doux, so chic. Jupe longue évasée dans un tissu épais et fluide, couleur pourpre à carreaux bleus et verts. Blaser beige chiné avec épaulettes, un peu large, en drap de laine. Robe noire près du corps longueur juste au dessus du genou et manches trois quart. Jean taille très haute, deux poches plates carrées plaquées sur le devant. Pull rose vif. Guêtres jambières en jacquard tricotées main en laine mauve et rose. Sweater à capuche avec des rayures bleu ciel, grises, bleu marine et blanches.

#18 Notre premier camp fut agréable comme nous émergions de nos sacs de couchage, notre tente gris- bleu brillait sous la poudre diamantée de la fine rosée. Christina conduisait la plupart du temps soit que mon manque d’habitude du volant lui eût déplu soit qu’elle n’eût pas confiance en moi aussi longtemps que la Ford n’était pas rodée. Avant de quitter Trieste craignant des pannes dans le désert nous achetâmes des chapeaux de paille, je me pavanais sous cette dernière acquisition de 40 sous.

Une de mes répliques du spectacle 2 femmes, 1Ford : adaptation que nous avons créé avec Stéphanie Rongeot, à partir du récit de voyage La Voie Cruelle d’Ella Maillart. Le nouveau texte est imprimé sur 15 feuilles format A4 qui sont rangées dans une pochette en plastique transparente, il se découpe en plusieurs actes : Départ, Suisse, Italie, Yougoslavie, Bulgarie, Turquie, Mer Noire, Azerbaïdjan, Iran, Gumbad-I-Kabus, Khorasan, Frontière, Afghanistan, kaboul.

#19 J’appuie sur le bouton, il ouvre la grille en grand, s’efface, me laisse passer: sourire. Dans le métro assis face à face, il balaye du doigt son téléphone, lève la tête, me regarde fixement 2s, sans expression, passe à côté: il balaye du regard. Au milieu du passage piéton, nous nous croisons, regards furtifs, légers sourires, tes yeux bleus, ta peau ridée, tu me fais penser à Adèle, une amie de ma mère. Enfant dans une poussette je lui fais coucou de la main, il rigole.

#20 Elle le regarde, le jauge, l’essaye, il lui va bien, elle ne le repose pas, elle poursuit sa déambulation dans les rayons, elle n’osera pas sortir sans payer, elle relève la tête et tend fièrement un gros billet au caissier. Sans un regard pour la boulangère il insère dans la fente de la machine une quinzaine de pièces jaunes pour son petit pain au chocolat. Elle garde la pièce de 2€ au creux de sa main fermée, c’est la petite souris qui lui a apportée, que pour elle, na! 

#21

#22 Douloureuse consigne, impossible de choisir. Je sors un livre un autre Art de l’essentiel jeter le superflu pour faire de l’espace en soi, justement je le garde, suis tenter de prendre un livre à mon copain. Après 20 mn d’inspection méticuleuse d’une partie de ma bibliothèque, front plissé, bouche fermée je choisis un livre le fourre sous mon manteau et ressors dans le froid mais aller où? Jamais je ne le laisserai dehors. J’ai trouvé l’endroit. Contente et fière de l’expérience.

A propos de Cécile Bouillot

Bonjour je suis comédienne. Je développe également des projets vidéos dans lesquels je filme les gens autour d'une même question. J'écris des poèmes de rue a partir de phrases récoltées dans la rue, j'aime m'amuser avec différents jeux d'écriture, j'écris régulièrement depuis deux ans. Acte 2 Scène 2. Chaine Youtube : https://www.youtube.com/user/cecilebouillot

4 commentaires à propos de “carnets individuels | Cécile Bouillot”

  1. 12 ta grisaille résonne tellement avec Tes textes … ( dans les dessous le réel s’insuffle) la tractopelle et la doudoune enchante…