#rectoverso #15 | l’ancien monde

1. O et M vivent à Aulon dans les Hautes Pyrénées, elles doivent ramasser les fagots dans la pente raide de la montagne après l’école. Le travail est pénible ; il faut porter les branches de noisetiers sur la tête et, si un fagot tombe, se pencher pour récupérer chaque branche éparpillée. 2. Dans la première moitié du XXe siècle, dans Continuer la lecture #rectoverso #15 | l’ancien monde

#rectoverso #15 | de cette masse mouvante qui transpire des mots

  1. Je me demande parfois d’où ça vient. Mais pas souvent.
  2. Je me demande plein de choses parfois, je ne sais pas d’où je tiens ça. Certains diront que c’est important de se poser des questions à tous les âges de la vie, d’autres que c’est un manque de confiance en soi-moi. La vérité est que ça ne m’intéresse pas.
  3. Il y a ce livre immeuble, La vie mode d’emploi. J’aime Perec. Je ne suis pas Perec.
  4. Je me demande d’où vient l’envie d’écrire. Je pourrais dire besoin mais je n’aime pas l’idée d’avoir besoin d’écrire. Comme on a besoin d’aller pisser.
  5. En réalité, ça ne m’intéresse pas de savoir d’où me vient cette envie. 
  6. Beaucoup de choses ne m’intéressent pas, possible que ce soit l’âge. Je n’ai pas envie de devenir comme tous ces vieux et vieilles qui n’ont plus de filtre et qui balancent toutes les saloperies qui leur passent dans la tête. Beaucoup de choses ne m’intéressent pas, mais pas les autres.
  7. J’ai besoin du regard des autres, mais souvent, c’est vrai, ça ne m’intéresse pas beaucoup.
  8. Un immeuble, sept appartements, vingt-cinq familles, couples ou individus seuls, durant une période de près de soixante ans (1963-2020). Je raconte.
  9. Je raconte et puis je tisse. J’adore écrire comme ça, des fragments que j’assemble après.
  10. Je ne sais pas écrire de façon linéaire. J’ai lu quelque part, je ne sais plus où, que si la ligne droite était le chemin le plus court pour relier deux points, c’était aussi le chemin le plus ennuyeux.
  11. J’écris pour ne pas m’ennuyer. Probable.
  12. J’écris parce que ça me plaît. Évident.
  13. J’invente vingt-cinq histoires et je me rends compte que certaines se ressemblent.
  14. J’invente, mais je plonge dans mes souvenirs aussi. Certaines histoires sont proches de mes souvenirs. D’autres non.
  15. Je ne sais pas si on peut trahir un souvenir.
  16. Je sais qu’on peut le déguiser, lui mettre une cagoule sur la tête, l’habiller en danseuse étoile ou en chevalier. J’aime bien travestir un souvenir avant de m’endormir.
  17. Je sais qu’il y a des milliers de façons d’écrire. Chez moi, une grande partie du processus d’écriture se fait sans écrire.
  18. J’ai enterré un cousin hier, j’ai beaucoup écrit.
  19. J’écris dans ma tête tous les soirs avant de m’endormir.
  20. J’ai l’impression d’écrire en permanence. J’ai aussi du mal à rester assis devant mon ordi durant des heures, j’ai mal partout, je tiens plus en place. Alors je me lève, je marche et j’écris autrement.
  21. Cet immeuble, je le connais bien. C’est l’immeuble dans lequel j’ai habité avec mes parents, mes frères, mes sœurs et ma grand-mère durant les premières années de ma vie. Jusqu’à je parte vivre ailleurs, sans ma famille.
  22. J’ai intégré l’immeuble dans le décor du livre que j’écris. Mes histoires se passent dans les appartements de cet immeuble à différentes périodes.
  23. Je suis présent dans le livre que j’écris, mais je suis le seul à savoir qui je suis, quels nom et prénom je porte. Je me suis bien déguisé.
  24. Parfois, je me fais un clin d’œil.
  25. J’aime bien raconter des histoires. Je crois que la fonction première de l’écriture, c’est de raconter. Mais ça ne m’intéresse pas de savoir quelle est la fonction première de l’écriture, j’aime raconter.
  26. Quand mes enfants étaient petits, je leur lisais rarement des histoires parce que je m’endormais avant eux. Alors, je leur racontais des histoires que j’inventais. Le personnage principal des histoires que j’inventais était une petite baleine qui s’appelait Baleino. Mes enfants se sont longtemps endormis en écoutant les aventures de Baleino.
  27. Où vont les histoires qu’on invente et qu’on n’écrit pas ? Qu’on n’écrit pas sur un ordi ou sur une feuille de papier ? Qu’on écrit dans nos têtes ?
  28. Les vingt-cinq histoires de mon immeuble, quand je les ai écrites, j’ai parfois eu l’impression de travailler à la chaîne. De produire de l’écrit au kilomètre. Puis je me suis dit que c’était juste le matériau que je devrais façonner plus tard. C’est ce que je me suis dit.
  29. En vérité, il y a vingt-six histoires. Autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet, ce n’est pas un hasard. La vingt-sixième ne concerne pas un ou des occupants de l’immeuble. C’est l’histoire de celui qui vivait dans un cabanon à l’emplacement exact où l’immeuble a été construit. Il a été assassiné.
  30. Les histoires s’entremêlent dans ma tête. Parfois, ça devient trop compliqué, elles se font des nœuds entre elles.
  31. Le plus simple, pour écrire, c’est quand même de taper sur un clavier d’ordinateur.
  32. Je suis celui qui écrit, vous êtes celle ou celui qui lit. Il y a une troisième entité présente ici, c’est le livre que j’essaie d’écrire. Comme vous avez pu le voir, il vient souvent nous interrompre dans notre discussion. Il vient souvent m’interrompre aussi dans ma réflexion. J’aimerais qu’il apprenne à frapper à la porte.
  33. Je crois qu’il s’en tape et qu’il fait ce qu’il veut.
  34. Ceci n’est pas un journal d’écriture.
  35. Ceci ne regroupe pas mes réflexions sur l’écriture.
  36. Ceci est juste une façon d’expliquer comment des mots transpirent de la masse mouvante dans laquelle baigne mon esprit.
  37. J’ai longtemps cherché un ou des mots qui puissent remplacer masse mouvante. Magma ne me plaît pas. Dans mon imaginaire, Golem serait sans doute le plus proche de ce que je veux exprimer, mais le terme est bien trop marqué par un univers qui m’est complètement étranger.
  38. Mon livre immeuble m’embarque souvent en terrain fantastique. Mon livre immeuble fait le lien entre quelques-uns de mes souvenirs et le fantastique, en passant par toutes sortes de personnes et d’histoires complètement fictives.
  39. C’est pareil pour les noms que j’ai donnés à mes personnages. La plupart sont complètement inventés, mais quelques-uns sont issus de très vagues souvenirs. Il y a, par exemple, la famille Stankovič. Quand j’étais ado, il y a une cinquantaine d’années, c’était le nom d’un moniteur de ski que j’avais rencontré dans une colo. Rien à voir avec la famille Stankovič de mon livre immeuble, juste le nom. Hier, à l’enterrement de mon cousin, j’ai revu cet ancien mono de ski. Je ne l’avais plus revu depuis une cinquantaine d’années. J’ai demandé des nouvelles de sa famille.
  40. Il y a la famille Anderson aussi. Anderson, c’était le nom d’un copain de mon fils quand on vivait à Montréal. Quand il parlait de lui, mon fils, qui avait six ans à l’époque, prononçait son nom à l’anglaise. Andr’sonn. Mais cet Andr’sonn n’a rien à voir avec les Anderson de mon livre immeuble.
  41. J’aime bien trouver des noms pour mes personnages. Quand je cherche un nom de personnage, je suis sensible à la couleur qui me vient à l’esprit lorsque je le lis ou que je le prononce. Taberlet, Uzan, Elissagaray, Lynagh, Ziegler, Kadiri. Moi, je vois des couleurs.
  42. Ça s’écrit pas, les couleurs qu’on voit derrière les personnages. C’est de l’écriture pourtant.
  43. « Ça existe, ce que je ressens, ça existe ! » C’est une réplique d’une pièce de théâtre, Le Brasier, de David Paquet. En écrivant ces lignes, cette réplique me vient à l’esprit.
  44. Ça pourrait être intéressant d’écrire un roman avec des répliques de pièces de théâtre. J’imagine que ça existe déjà. Sûrement. Mais il faudrait connaître les pièces de théâtre pour apprécier. Je ne connais pas beaucoup de répliques de pièces de théâtre. Il est probable que ça ne m’intéresse pas, en fait.
  45. Je relis quelques-uns des mille d’Olivia Rosenthal. J’entends sa petite musique. 
  46. Je ne suis pas d’accord avec elle quand elle dit que l’injonction à passer par le récit a envahi notre espace mental.
  47. Je ne vois aucune injonction à raconter.
  48. Je vous raconte ça, mais je ne vous oblige pas à être d’accord avec moi. N’y voyez aucune injonction.
  49. Même si mon livre immeuble, lui, m’oblige. Écrire un livre, c’est se soumettre à de multiples injonctions. On est soumis à moins d’injonctions quand on écrit dans sa tête. Je crois.
  50. Je vais publier ces lignes sans les relire. C’est le deal, ne pas relire. Ne pas revenir en arrière.
  51. C’est une injonction, ça aussi.
  52. Je ne sais pas d’où vient l’envie d’écrire. J’étais parti de là, je crois. 
  53. Cinquante-trois fragments de réflexion plus tard, je n’en sais pas plus, mais la masse qui transpire mes mots a un peu bougé.
Photo de Kenny Eliason sur Unsplash

#rectoverso #15 | Jeu de casse-tête

  1. Les chansons qui vous trottent dans la tête au réveil. Depuis plusieurs jours, alors que je n’y pensais plus depuis des années, Casse-têtes, écrite par Gébé, chantée par Montand. Revient sans cesse, même dans la journée. Sans être invitée. Elle s’impose.
  2. Et aussi, de Fugain, «C’est un beau roman, c’est une belle histoire…». On n’aime pas forcément les chansons ou les rengaines qui reviennent et s’imposent. Mais le moyen de les chasser?
  3. Béa est un pseudonyme. J’ai connu une fille qui lui ressemblait. Mais je ne sais plus comment elle s’appelait (en vrai, ou IRL, comme on dit aujourd’hui.)
  4. Combien de temps avant que cette expression, IRL, disparaisse?
  5. Je me souviens par contre nettement du prénom et du nom (les vrais, pas le pseudo) de son mari.
  6. C’est normal: lui, je le voyais au travail, pas moyen de l’éviter. Elle, je ne l’ai croisée que quelques fois. Croisée, pas rencontrée. Vue à distance. À cette époque-là, elle ne m’intéressait pas.
  7. Lui non plus ne m’intéressait pas. Je le trouvais prétentieux et hâbleur. Le genre d’homme qui parle fort, s’étale et s’écoute parler. Nos rapports au travail se limitaient au bonjour-bonsoir de rigueur.
  8. J’ai pourtant le souvenir d’avoir dîné chez eux, un soir, avec d’autres invités.
  9. La règle tacite de ce bourg, de cette petite ville de province, était de rendre l’invitation à dîner. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir fait. Mais j’ai peut-être tout simplement, vraiment, oublié un épisode qui était sans grand intérêt. Pour moi, à ce moment-là.
  10. Rien ne m’empêche de l’imaginer, et de l’écrire. Aujourd’hui.
  11. Finalement, je vais opter pour la liste à numérotation automatique, que je viens de rétablir. Merci, traitement de texte qui gère les automatismes. La question sera de savoir si ce sera transposable dans WordPress. On verra en « temps utile » (encore une expression bizarre, c’est quoi, du temps utile? je devrais dire, le moment venu.)
  12. Je ne sais pourquoi Béa s’est imposée à moi soudain, comme un fantôme qui prend corps et réclame à avoir son histoire, écrite.
  13. Béa, c’est-à-dire Béatrice. Je m’aperçois que je l’appelle déjà par son diminutif, son petit nom affectueux, un hypocoristique.
  14. Pourquoi, c’est-à-dire pourquoi maintenant. Je sais bien pourquoi elle s’est imposée. Mais pourquoi maintenant, alors que je l’avais totalement oubliée, effacée de ma mémoire?
  15. Son histoire, c’est une histoire vraiment pas gaie/pas vraiment gaie.
  16. Place de l’adjectif: antéposé ou postposé, et le sens n’est plus – tout à fait – le même. Mais les lecteurs feront-ils la différence? pour moi, il y en a une, alors je veille à écrire du mieux possible la nuance.
  17. Les histoires d’A finissent mal en général.
  18. En écrivant ces lignes, et chaque fois que j’écris un fragment de cette histoire, j’entends les Rita Mitsouko: Les histoires d’A, histoires d’amour…
  19. Je crois que l’histoire de Béa n’est pas seulement son histoire, mais aussi celle de ma mère.
  20. Et aussi l’histoire d’une copine de classe, disparue du lycée en mars ou en avril, et retrouvée en juillet dans les couloirs d’un autre lycée, où on passait les oraux du bac. L’examinateur l’avait invitée à entrer dans la salle et appelée «Mademoiselle C…, s’il vous plaît», le nez sur sa liste de noms de candidats et candidates à interroger. Et puis il l’avait vue et s’était repris: «Oh! pardon… Madame!» insistant sur le deuxième a de madame. Elle était, comme on disait dans la famille, « enceinte jusqu’aux yeux », presqu’à terme. Ce qui faisait, si elle était enceinte de neuf mois début juillet, disons qu’elle était enceinte depuis… allons, comptons sur nos doigts à rebours… quelque chose comme novembre. Elle était donc enceinte de cinq mois ou presque en mars, et nous n’avions rien vu, et elle n’avait rien dit. Il y avait peut-être eu des vacances avant. Alors, on l’aurait vue pour la dernière fois au lycée en février. À quatre mois, la grossesse n’est pas forcément visible, pas encore visible. Je connais une fille dont la grossesse n’a commencé à se voir qu’après le septième mois.
  21. L’histoire de Béa est celle de toutes ces filles, à peine plus que des fillettes, qui ont encore les joues rondes de l’enfance, des ados certes, mais pas vraiment des femmes. Mariées très jeunes, mères à dix-sept ans, elles se retrouvent à pousser une voiture d’enfant devant le collège où elles étaient encore élèves quelques mois auparavant. Elles ont presque toujours l’air triste et marchent courbées.
  22. Ce sont aussi des mal mariées, pour la plupart.
  23. Les garçons, des ados eux aussi, ne sont pas mieux lotis. Eux aussi sont contraints au mariage, sans l’avoir choisi.
  24. Le garçon n’avait pas forcément envie de se retrouver père et marié à dix-huit ans. Il y a probablement des exceptions, certainement même. Mais ils étaient et restent rares. On n’élève pas les garçons en leur apprenant qu’ils ne peuvent pas être les mieux servis et tout se permettre.
  25. Témoignage de la fille d’une de mes amies. Appelons-la Julie. Elle est au lycée, en première. Ça se passe près de la gare de R***. Elle a été hélée par une ancienne copine de classe du collège. Elles étaient ensemble en troisième. La copine est accompagnée par celui qui était la grande gueule du collège. Ils sont mariés et ont un enfant, celui qui est dans la poussette. Elle attend le second. C’est elle qui parle. Elle dit à Julie qu’elle a bien de la chance d’être au lycée et de passer son bac. Lui ne dit rien, il regarde obstinément ses chaussures. Ils doivent repartir, c’est l’heure du car, tu comprends… ils ne respirent vraiment pas la joie.
  26. Aujourd’hui, « on » (la société, les parents…) ne les pousserait peut-être plus à se marier avec la même insistance. En France et en Belgique, tout au moins.
  27. Je pense à ce film, Jeunes mères, sorti en salle cette année, qui montre des gamines confrontées à leur grossesse, à leur enfant, à la nécessité, l’obligation de devoir s’occuper d’un bébé alors qu’elles ont du mal à s’occuper d’elles-mêmes. Le film a été tourné en Belgique, dans une maison maternelle (il me semble que c’est le nom de cette maison, mais ce n’est pas certain, il faudra vérifier) un lieu magnifiquement géré par des femmes patientes et fermes, qui montrent à ces adolescentes comment s’occuper de l’enfant qui vient de leur tomber du ventre dans les bras, comment on lange le bébé, comment on prépare le biberon, comment on doit être responsable, ne pas le laisser seul sur la table à langer pour aller téléphoner, etc. On rencontre celles qui attendent la naissance, celles qui se demandent si elles vont laisser leur bébé en adoption, et si oui, est-ce que c’est bien? celles qui sont perdues, qui pleurent, qui craquent…
  28. Mais dans mes histoires, il n’y a pas de tels lieux. Pas encore. Elles vivent dans les années 70-80, dans un monde où une fille qui a « fauté » doit se marier.
  29. Le garçon, ou l’homme, lui, ne « faute » jamais. On ne dit jamais du garçon ou de l’homme qu’il a fauté. C’est comme s’il était dans son droit. Au mieux, il s’héroïse en « assumant ses responsabilités ». Ce qui ne l’empêche pas de se retrouver piégé et malheureux. Mais il peut fréquenter des lieux de solidarité masculine. L’usine, le bistrot, le foot… il n’est pas coincé ds la cuisine avec les marmots. Quand il rentre le soir, il a bonne conscience, il gagne sa vie, lui, il a un travail, lui, il ramène sa paie à la maison. (remarquez, pas toujours… certains en laissent une bonne part au bistrot.) Elle, elle ne travaille pas, c’est bien connu, elle se lève avant lui, se couche après lui, se relève la nuit pour le laisser dormir (c’est qu’il travaille, lui!), trime toute la journée pour «tenir son ménage», mais il faut croire que tout ce travail-là ne compte pas.
  30. À lui l’alcool. À elle les tranquillisants. Dans les années 70, le shit n’est pas encore arrivé massivement. Mais ça ne traînera pas.
  31. Ceci que j’écris, qui s’écrit, est-ce un journal? un journal d’écriture? une machine à se presser le citron? à peine un détour avant de reprendre l’histoire de Béatrice.
  32. Pourquoi Béatrice? comment choisit-on le prénom d’un personnage? Béatrice n’existe que sur le papier. Sur le papier, elle a eu d’autres prénoms, jusqu’à ce que celui-ci s’impose. À cause de ce (trop?) célèbre incipit, «La première fois qu’il vit Béatrice, non, Bérénice, il la trouva franchement laide.» et ça continue à peu près ainsi «Ou plutôt mal coiffée… les cheveux coupés a demande des soins… mal habillée… une étoffe qu’il n’aurait pas choisie…».
  33. Remarqué que François Bon prononce correctement, lui, le mot incipit. Il faudra que je l’en remercie, en commentaire. C’est-à-dire en écrivant un commentaire en dessous de son «post».
  34. Les béatrices n’ont pas la parole. On parle d’elles. On c’est, pour commencer, le GB qui écrit ces lignes.
  35. Remarque: GB n’écrit pas, ou n’écrit plus beaucoup, ou plutôt beaucoup moins; ça lui arrive encore, mais désormais, il tape sur un clavier d’ordinateur. GB a eu une machine à écrire, rouge, une Olivetti. Disparue depuis longtemps, partie à la casse probablement, jetée par?, au fait, qui a jeté cette jolie petite chose? Dommage, c’était un bel objet, même s’il n’avait plus d’usage, faute de ruban.
  36. Il y a d’autres on. On parle de Béatrice: ceux et celles qu’elle croise, qu’elle rencontre, qu’elle a rencontrés, ceux et celles qui parlent d’elle, la connaissent plus ou moins. Elle, elle ne parle pas. GB n’a pas prévu de lui donner la parole. Pour le moment.
  37. Écrire un portrait en creux, in absentia.
  38. Écouté – parce qu’elle me trotte dans la tête depuis des jours – la chanson écrite par Gébé, Casse-têtes. Remarqué que toutes les têtes cassées sont des victimes, mais seulement du genre masculin. Sauf peut-être le bébé phoque. Pourtant en Iran, c’est sur la tête de Jina Masa Amini, une femme, que les policiers ont tapé jusqu’à ce qu’elle en meure.
  39. Lu ce qu’écrit Olivia Rosenthal du chat de Schrödinger. Béatrice est – à ce moment de l’écriture, dans le projet de GB – un chat de Schrödinger. Dans un récit, elle repart au bout d’un an ou deux dans sa région natale. Dans un autre, elle meurt à la fin du récit. Dans le premier cas, «on» pourra se demander ce qu’elle devient. Une béatrice deviendra mère de famille, femme au foyer, victime pathétique? une autre béatrice compagne libérée d’un quadragénaire devenu libertin échangiste? une autre rejoindra les combats féministes, une autre se découvrira lesbienne… et toutes ses/ces histoires ont plus ou moins déjà été racontées, écrites, vécues.
  40.  Aimé aussi ce qu’Olivia R. dit de l’ « arc narratif ». Image qui m’évoque aussi l’arc-en-ciel: « on » ne sait pas vraiment d’où il sort, ni où il aboutit. Mais à son pied, on trouvera un trésor. Alors, partons en quête.
  41. La chanson Casse-têtes, c’est peut-être une indication de ce qu’ « on » écrira en fin de compte.
  42. Comptes: régler des comptes, régler ses comptes. Supprimé: trop facile. Remplissage.
  43. La mère de George a été une béatrice. Une mal mariée parce que mariée trop jeune. Parce qu’elle avait fauté. Parce qu’elle était enceinte d’un jeune homme. Un homme qui n’était plus un adolescent. Un homme jeune, qui avait un travail, le droit de vote, une place dans le village, qui aurait dû être responsable. Elle avait dix-sept ans, il en avait vingt-trois. Il était plus âgé qu’elle de six ans, ça compte.
  44. Difficile à écrire, quand il s’agit de son père. Coupable de viol? il ne la connaissait que depuis quelques jours. Elle était venue de loin retrouver ses frères; elle devait coudre une belle robe pour Laure, sa jeune belle-sœur. Il devait y avoir une fête, d’où les robes. En ce temps-là, on cousait les robes, les boutiques de prêt-à-porter n’existaient pas encore. La mère de George était couturière, une petite couturière de seize ans.
  45. Peut-être était-elle ce qu’on appelait une fille facile. C’est ce que répétera sa belle-mère. Son fils chéri a été obligé d’épouser une marie-couche-toi là. Et allez savoir… si ça se trouve, l’enfant… on ne sait pas de qui il est… elle se sera jetée à sa tête…
  46. Les femmes ne sont pas tendres pour les femmes.
  47. Ou bien il l’a renversée sans égards pour ses protestations. On lui aura appris pendant son service militaire que les filles disent non alors qu’elles pensent oui.
  48. Ou bien ils sont tombés amoureux, le coup de foudre. Ils auront été heureux quelques mois, peut-être. Mais de cela, George doute fort… mais pourqui pas? En ce temps-là, bien avant sa naissance, ils étaient amoureux. Le temps a passé, l’amour s’est changé en rancœur.
  49. Béatrice, Béa si vous préférez, n’était pas enceinte quand elle a épousé Philippe. Il l’a épousée parce qu’il était fou amoureux. Il faut être un peu fou pour arrêter le car scolaire et en faire descendre une élève de seize ans. C’est ce qu’il a raconté à ses collègues masculins, je n’invente rien. Il se disait fou, il disait «j’étais fou». ou bien «j’étais comme fou»? Il parlait déjà au passé, il me semble. De sa folie, ou de son amour pour elle?
  50. Elle, elle était flattée. Était-elle amoureuse, vraiment amoureuse? Ou amoureuse de l’idée d’être l’objet d’amour d’un homme plus âgé, dans une position de supériorité et d’autorité. Beaucoup de filles sont amoureuses de leur prof…
  51. To be continued
  52. Trouver un titre, quand il n’y a plus qu’à… et pourquoi pas «casse-tête»?

#recto verso #15 | Et ça n’en finit pas

  1.  Les choses, plutôt les écrire 
  2. Peur de tout dire 
  3. Ça bégaie,  balbutiement , ça chercher ses mots, peur d en perdre la moitié en chemin  
  4. Au fur et à mesure s’inscrire
  5. Une partie intime de soi , non ? 
  6. Non. Définitivement . Non . Pudeur . Jamais . 
  7. Ne jamais dire jamais 
  8. Pas à pas repartir, mot à mot ,de zéro repartir, 0.1.2.3…jusqu à 1000
  9. Réécrire, ne jamais arrêter d’écrire, à en  perdre le fil 
  10. Savoir tomber du fil , même de pas très haut. 
  11. Créer , Esmée , ça veut dire  :celle qui est estimée
  12. Une enfant gymnaste , funambule , sur le fil elle aussi .
  13. Une enfant du cirque 
  14. Le cirque on y allait avec le comité d entreprise de l usine à Noël . On était contents.
  15. Entre ciel et terre , funambule elle restera
  16. Vers le haut .  Vers le haut . 
  17. Pas de point de fuite dans le ciel . 
  18. Les nuages tout court , un silence de coton 
  19. Revenir à l écriture, pousser le graphisme des  « il y a », peindre ce que l’on voit , voir ce que l on peint . Y aller doucement  à l encre. 
  20. Rajouter des couleurs , mots et pinceaux , ça rime .
  21. Savoir tomber du fil même de pas très haut et mieux s’envoler. 
  22. Voir le monde vu du ciel , une échappée belle , une obsession peut-être.
  23. Cherche autre  langue , pousser le graphisme  
  24. Voyager léger . En terre inconnue Laissez les archives au placard . Carnet d’aquarelle dans une poche , un stylo ds l’autre, des lettres, des pigments , de l’eau 
  25. Une écriture liquide 
  26. Pourrais jamais aller jusqu’à 1000 . Pas douée. 
  27. Travail ou talent? Telle est la question . 
  28. Esmée , celle qui est estimée .
  29. Quelle recherche au juste ? 
  30. Créative , mais toujours à la marge 
  31. Pas de retour à la ligne 
  32. Flotter sur les  lignes seyes  , au large  de la consigne
  33. Ou rejoindre la consigne et lancer les filets 
  34. De bonnes prises jetée dans une mer de contributions
  35. Ecrire , noyée, remonter à la surface 
  36. Inventer une ville pour dire la vraie, Soisille , inventer des gens pour dire les vrais , inventer des larmes pour dire les peurs.
  37. Un titre depuis début : Enceintes , ce qui est au-dedans, au dehors , est au-delà
  38. Enceintes , gestation  en atelier 2025 . Recto verso disait la consigne . Abandonné le verso parfois .
  39. Aller jusqu’ au bout , Esmée n’y croyait pas, une si jolie poupée rousse, souvenir lointain . Tu méritais bien ça. Un cirque  parti en fumee un été de canicule , pourquoi pas . Je t ai rendue muette et triste . 
  40. Ton père avec son chapeau et ses santiag , ruiné , désarmé. 
  41. Pourrais-je jamais aller jusqu’à  1000?
  42. Encore beaucoup lire , beaucoup écrire , le voyage commence , à peine au-dessus du sol …
  43. Merci François, 
  44. Merci aux amis d’écriture . 

#rectoverso #15 | le problème c’est que les morts restent morts

1_nos ascendants laissent des traces 2_je voudrais dire les Je dont On ne parle pas tous ces Je blessés 3_ou morts 4_il y en a beaucoup beaucoup trop alors savoir quel Je dire est inconfortable 5_le choix est inconfortable 6_en ce moment notre société peine à choisir qui des nouveaux ou anciens morts comptent 7_Je se demande peut-on parler religion Continuer la lecture #rectoverso #15 | le problème c’est que les morts restent morts

#rectoverso #15 | Je ne pleure pas, j’écris

15 Parler de lui sans jamais le nommer 16 De quoi veut parler mon roman ? Je le sais, mais n’ose pas. 17 Bon, prenons la question sous un autre angle, déplaçons le tabouret dirait Pierre Michon. À quoi sert mon personnage ? 18 À transmettre des émotions, à revivre à travers lui mes émotions. Je les revis si bien qu’il m’arrive Continuer la lecture #rectoverso #15 | Je ne pleure pas, j’écris

#rectoverso #15 I la fatigue des hirondelles

  1. Ça a commencé avant, mais ça aurait pu être plus tard. Ça aurait pu. Quelques années après. Cela ne changerait en rien les perceptions, la gravité des faits et de ce qui n’en sont pas des faits, disons des décisions ou des négligences. Hurlement. 
  2. La nuit, l’obscurité ne lui fait pas peur, seulement le croassement des crapauds dans le bassin du jardin capte toute son attention, trop de force, ça entre par les fenêtres ouvertes de sa chambre, ça ne ressort pas. Vieux mas provençal où elle habite, bassin adjacent au corps du bâtiment où elle ne s’endort pas. Elle se demande s’ils croissent parce qu’ils ne peuvent faire autrement ou pour plaisir d’entendre leurs voix, elle se demande s’ils copulent durant tout ce temps. Ses parents gémissaient-ils lorsqu’ils faisaient l’amour ? Sont morts depuis longtemps. Les crapauds.
  3. Ne pas manger, ne pas entendre des mots tus. Surtout ne pas les imaginer trop souvent. Savoir sans savoir. Reconnaitre. Grandir quand même. Sans alternative.
  4. Il aurait tout de même fallu savoir. Entendre autre chose lors des repas trop longs que les silences d’un bavardage sur la saveur délicieuse des plats difficile à avaler, les aléas des prévisions météorologiques et les allées et venues des voisins bizarres dont elle n’a que faire. Les mots passent. Rien à foutre d’eux. Ça aurait aidé à mieux, oui disons à mieux plutôt qu’à plus. Ça aurait fait gagner du temps, réduit le nombre d’années passées, allongée sur un divan défoncé, face à tapis berbère, un désert de laine rouge presque sang pendu au mur pour amortir les phrases, les sanglots, les blancs et noirs, chez un psychanalyste. Plutôt. Gagner ou perdre du temps.
  5. Les auto-tamponneuses des fêtes foraines pour évacuer. Les coups de poing ravalés, les étincelles, les couleurs criardes des carrosseries des auto-tamponneuses, les éclats de voix de gorge, les rires dégoulinants des jeunes qui se rentrent dedans. Dehors, en dehors d’elle que disent-ils d’elle, d’eux ? Comment font-ils avec ça ?
  6. De quoi il faut poser la question. C’est la question. L’unique. Comment ça s’est passé exactement cet ordre de faits. Mais avant il y a déjà eu les prémices des premières idées, rejetées peut-être, les désirs, ravalés peut-être, les mots, chassés, de peur de. La décision a bien dû arriver un jour. S’en séparer, l’éloigner. Il y a eu tous les mots à peine prononcés, enfilés les uns après les autres comme les pâtes d’un collier confectionné à l’école maternelle pour la fête des mères. Puis tous ces mots furent déposés au fond d’un placard fermé à double tour, pour être oubliés là. Mais garder le résultat, il faut bien l’appeler ainsi. Elle, Agatha, dirait abandonner.
  7. Elle s’appelle Agatha, avec un A, comme advenir, avenir, advertance, aimer, abolir, avorter… Ne pas avorter, non. A. Première lettre de l’alphabet, elle sera première de la classe. Je ne sais plus qui est, que fait Agatha dans le roman incestueux de Marguerite Duras. Elle crie ?
  8. Agatha aime les pois de senteur, qu’on lui offre des campanules orangées, des fleurs pour inhiber la peur paralysante de la fragilité. Elle aime la figure de la spirale des coquilles d’escargots, se draper dans une belle couverture de mohair, les galets lourds lisses, les robes chemisiers légères dont la jupe s’envole comme Marilyn Monroe et occupe l’esprit, la main et allège la gravité des choses quelques instants, juste un peu mais c’est déjà ça. Agatha aime les pistaches grillées, les grignoter comme une souris papivore et les clafoutis pour cracher les noyaux des cerises très loin comme les garçons aiment à pisser loin, elle aime faire des ricochets sur les lacs verts des montagnes et puis encore ne pas. L’idée de partir seule (elle a pourtant eu sa dose de solitude depuis le temps). L’idée de ne pas partir seule (pourquoi ne pas partir seule puisque de toutes façons elle est seule même avec d’autres). Le vent passe. Du vent, dehors, rien à voir, que dire ? Tout ne s’envole pas, ne disparait pas. Non ne pas dire qu’elle a été. Délaissée.
  9. Abandonnée. A été abandonnée. C’est ça son drame majeur. Personne n’en dit rien. Ça n’existe donc pas. On est tous abandonné, pourrait reprendre en chœur le cœur du sujet. Enfant aussi je fus abandonné. Toi aussi. Toi aussi. Moi aussi. Je ne suis pas la plus forte. C’est ça le sujet. Lequel ? Agatha, s’il te plait. Ne dis pas n’importe quoi. Si abandonnée. Je ne veux pas perdre la partie pourtant. Bartleby. Préférer ne pas sinon
  10. Sinon visiter le Zoo de Maubeuge avec sa butte aux lamas, ses escaliers de ciment au sein du bunker, leurs grands yeux sans paupière, leurs oreilles dressées vers les Andes, vers l’Est. On est au Nord. Ils se regardent, s’ennuient sans doute. Que font-ils sur leur butte ? Comment vivent-ils ? Jusqu’où peut aller l’ennui ? 
  11. Ne pas chercher à faire plaisir aux gens. Ils ne m’ont pas fait plaisir en me laissant là. Ne pas donner satisfaction. M’éclipser. La liste pourrait être longue. Ne pas lister. Marcher en écoutant d’Ali Khan dans un gros casque. Prières en boucle, en bouche. Je ne comprends pas. Ne plus entendre le silence. Ne rien donner de moi. Fermeture.
  12. De la pièce en question je ne me souviens que de la cheminée à l’âtre immense, au feu de bois réduit en braises, du tapis épais aux teintes chaudes juste devant les flammes, tout près et nos corps jeunes, serrés l’un contre l’autre dans ce séjour vide haut de plafond et sombre et c’était une nuit silencieuse et à part nous deux et rien et le peu de mots prononcés et un désir à la place et le plaisir du désir, du désir vécu, aimé. Dans la nuit, le froid, on s’est endormi sur ce tapis persan posé directement sur le sol. Poitiers ou Angoulême, je ne me souviens plus. Presque rien, mais tellement tout ce moment, cette scène ancrée dans la mémoire sans savoir pourquoi, une scène d’une telle banalité, sans même d’intensité majeure. Pourquoi n’ai-je pas oublié ce moment-là, ces heures-là, cette pièce dont l’idée s’est déformée au fils des années. Oublié le corps de l’autre, le prénom de l’autre, pas oubliée cette cheminée, sa lumière et sa chaleur. 
  13.  Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowsli. Rien à foutre. Agatha de l’autre côté du monde, du miroir, fatiguée évidemment. Et la fatigue des hirondelles, des vieillards, des bébés, des palestiniens, des nomades, des combattants, des vivants et des morts et la fatigue vitale, virale, viscérale… Vire-moi ça de là, mais comment vivre sans ?
  14. Le vent, du vent pour laisser s’éloigner les choses, s’étioler les particules de poussière dans le soleil et aussi et encore dans un vent chaud, douceur dans les cheveux, les cheveux courts comme un garçon. Agatha tu n’es pas un garçon, pourtant, on ne te veut pas de cheveux longs. Ne pas te prendre pour une princesse capricieuse qui dit non, pas ça non, gâtée oui, même pas abandonnée. Quelle idée tu as. Tu racontes n’importe quoi, on t’aime moi pas tu pensais, tu ne pensais à rien, à tout Agathe pour ne pas leur reprocher, pour grandir quand même. S’appuyer sur les mots des autres, les mots des livres, c’est comme ça que.
  15. L’écriture venue pour palier. Des gestes des autres aussi. Peut-il en être autrement Agatha, avec un A comme âne, animal, vertical. Comment as-tu grandi ? Sur quel totem t’es-tu appuyée ? Tu t’es adaptée enfin tu as réussi à t’en sortir n’est-ce pas, Agatha. Tu as lu, relu, pas tout perdu. Seulement beaucoup oublié. Où sont passés les crapauds ? Et les cailloux blancs pour ne pas se perdre dans la forêt du Petit Poucet ? Tu préfères les histoires vraies, même si tu ne sais pas ce que c’est le vrai d’une fiction, plutôt que les contes, même si les enluminures t’enchantent. Rêves de non château, de fol chatoiement. Parvenir au détachement, à la légèreté du jeu, une nuit étoilée peut-être, avant la fin de sa vie. Agatha. Ne pas abandonner la partie par peur de la perdre. La commencer en tous cas, essayer. Encore et toujours.
  16. Caresser un chien, un chat, un lama pour sentir le pelage, sa chaleur d’être vivant sous la peau de la main, son cœur battre, son relâchement, son étirement, ses yeux regarder les yeux. Le regard des autres. Ils ont toujours ne pas aimer les animaux, ni les enfants, ceux des autres, la leur inclus. Les autres, c’est eux aussi.
  17. Et les arbres, tu allais les oublier, eux ils t’ont aidée, par leur fidélité, leur longévité, leur parole tenue. Ils restent là où ils sont les arbres. Ils ne changent pas d’avis même malmenés par la tempête. Ils restent fidèles, ils demeurent intègres. Cabane refuge, sécurisante, assurée pour toujours. Un coin, reclus, repli. Une chambre à soi pour toujours. On rêve éperdument de toujours, on manque de toujours, même paraît-il dans la position d’une enfance heureuse, inoubliablement plus que parfaite, idéale. Puis-je croire en ça, ça peut se faire ça ? Que faut-il omettre pour que c’est l’air possible, crédible, ça ?
  18. Et les autres Agatha, comment font-ils les autres ? Ils apprennent à faire, ne pas faire, défaire, refaire, contrefaire, méfaire, taire et mentir pour passer devant les autres ou se servir des autres pour faire. Qui sers-tu, à quoi sers-tu Agatha ? À quoi ça sert tout ça, il nous reste si peu à vivre, il fredonnait ça, durant tout un été. Un été chaud et ensoleillé, c’était il y a longtemps. Soleil encore là mais il brûle la Terre, les arbres, les corps, le reste. Que reste-t-il encore ?
  19. Lasse de trimbaler le passé. Vivre sans. Sans toit ni loi. Agnès Varda et ses paniers d’osier de nourritures confitures. Je n’aime pas les confitures. Roland Barthes n’aime pas les gros, et s’intéresser à la nourriture, manger ne fait pas intello, écrit-il plus ou moins dans Roland Barthes par Roland Barthes. Bartleby. Baby. Billes en tête. Pourtant. Pourtant la liste des aliments nécessaires à la survie d’une maison ne reste pas que  punaisée dans la cuisine de Marguerite Duras. Elle la publie. Manger ou ne rien avaler, être ou ne pas être. Ne pas continuer en enchainant sur les sorcières de William Shakespeare. Agatha ne fais pas ça. Pas ça. Mange et ferme ta bouche en mangeant. Ferme-la. Ne pense pas.
  20. Pas pu oublier la solitude de l’enfant unique, unique dans sa solitude. Nue dans sa solitude. Echapper de soi, n’être plus soi. Oublier, lire, écrire, lire, oublier un peu beaucoup à la folie. Sentir mais pas trop. Et les crapauds ont-ils quitté la maison ou l’ont-ils envahie ? Imagine une maison partout de crapauds. Sur la vie des crapauds, je ne sais presque rien. Savoir parti avec l’eau du bain, comme le bébé parti, fini baby. La baignoire est un peu sale après. C’est tout.
  21. Il manque tant de pièces au puzzle. Placer abscisse et ordonnée. Les quartiers ne se relient pas, les années ne se suivent pas, les histoires ne racontent rien qui vaille. N’est-ce pas préférable ainsi ? Pour qui dis-moi Agatha ? Il, le père a voulu oublier, a renié, dans son mutisme trop radical pour avouer, trop de peurs, la mère, elle, a voulu oublier, dans son bavardage de trop faible pour dire, pour avouer, assumer l’abandon. Jamais ils n’ont abandonné leur fille. Jamais Agatha ne fut dans son placard de chambre. Jamais seule. Jamais ou toujours. Version recto ou version verso ? 

# rectoverso# 15| Manger évite les reproches

……. 50. Elle veut son compas, elle me l’a prêté et elle veut que je lui rende. Drôle de fille. Un vrai bébé.51. Dans la cour, derrière les grilles de l’école, les marchands de cacahouètes fraîches. 52. Les fenêtres n’ont pas de vitres, les ventilateurs au plafond brassent de l’air chaud.53. Le compas a deux branches. Faut savoir le tenir Continuer la lecture # rectoverso# 15| Manger évite les reproches

#RECTO VERSO #02 à #15 | survivances

TABLE DES MATIÈRES#02 – survivance#03 – il y a la fissure#04 – la saisir, primitive#05 – la Petite Faye#06 – désert#07 – piqûre de scorpion#08 – sur les crêtes#09 – l’amer-sucré du café#10 – mirages#11 – le gouffre de la pensée#12 – récits des deux continents#13 – bou che ou ver te#14 – survivances#15 – aveuglés Photographie ©Françoise Renaud #02 Continuer la lecture #RECTO VERSO #02 à #15 | survivances

#rectoverso #15 | Mais pas que

15. être de finitude mais pas que. 16. se révolter contre. 17. ne pas accepter qu’on te dise que tu n’es que ça, même si ça, ce n’est pas si mal que ça, comme être jardinier ou facteur ou écrivain ou fonctionnaire ou amant ou beau-père de quelqu’un qui est devenu artiste ou émigrée ou mère de quelqu’un d’autre encore. Continuer la lecture #rectoverso #15 | Mais pas que