Celle qui pissait droit debout

  • Celle qui ne porta jamais de culotte et pissait droit debout
  • Celle qui accoucha en allant à l’herbe aux lapins, coupa le cordon avec la faucille et ne rentra qu‘une fois son panier plein
  • Celle qui était myope et  dont l’amoureux ne revint jamais plus. Tous les jours il passait sur un cheval blanc la saluer sous sa fenêtre, un jour il vint à pied, elle lui tourna le dos, elle ne l’avait pas reconnu sans son cheval
  • Celle qui fut obligée d’épouser celui qu’elle avait un peu trop tendrement reluqué sur la place du village !
  • Celle qui faisait apparaître sur la table des fruits qui n’existaient pas et qu’on voyait pourtant
  • Celle qui avorta de la peur que lui fit une cigale de mer couverte d’algues qu’on avait posée sur le divan à ses côtés, pour rigoler.
  • Celle dont le fils s’était pendu dans l’escalier
  • Celle qui n’eut que des fils vivants et dont on utilisa sa seule fille, disait-elle, comme tampon pour arrêter l’hémorragie.
  • Celle qui mourut à sa première couche de son premier enfant
  • Celle qui planta son couteau dans je ne sais quelle partie de l’anatomie de Bellacoscia, le bandit
  • Celle qui me portait sur son dos pour remonter le sentier de la mer
  • Celle qui voulut sortir son fiancé de Drancy, qu’on fit marcher pieds nus et qui partit sans lui
  • Celle qui ne conservait qu’une seule photo et sa dernière lettre avant Auschwitz : il y clamait la confiance en sa bonne étoile
  • Celle qui se vantait de son titre de noblesse en vendant son poisson sur le port
  • Celle qui vola le document  officiel signé par Louis XV attestant cette noblesse et que tout le monde chercha à démasquer, inutilement jusqu’à aujourd’hui
  • Celle dont je ne sais rien que la petite photo derrière laquelle il est écrit : morte par la connerie des médecins !
  • Celle qui dut émigrer en Amérique pour se libérer du trop d’amour familial
  • Celle qui, une nuit, perdit son père et se retrouva au matin, à sept ans, avec une mèche de cheveu blanc
  • Celle qui gribouillait le visage de son beau-père sur les photos
  • Celle qui fut une pauvre orpheline puis une pauvre veuve
  • Celle que des jeunes gens enlevèrent à la sortie de l’opéra d’Athènes pour la violer dans les bois
  • Celle qui devait s’enfuir avec un soupirant mais découvrit la veille, dans le journal qu‘il était un chef de la mafia. Au matin, elle attendit  longtemps, derrière les rideaux que  la voiture dans laquelle il était venu la chercher s’éloigne enfin 
  • Celle qui avait une voix de violoncelle et épousa un vendeur de piano
  • Celle qui quitta son pays pour échapper à la prison, abandonnant tout, même son vieux mari
  • Celle qui faisait du trafic d’or
  • Celle qui traversa l’Amérique du Nord au Sud en Fiat cinq cent
  • Celle qui n’était même pas belle et séduisit les hommes jusqu’à sa mort
  • Celle dont je ne peux me remémorer ni la voix ni l’accent

A propos de Lorette Andersen

A exercé différents métiers : ethnologue, comédienne, ouvrière, éducatrice petite enfance, institutrice, animatrice d’ateliers d’écriture, formée par Elisabeth Bing, auprès d'enfants, de parents, de conteuses. Actuellement conteuse, de contes traditionnels, légendes contemporaines, récits de vie, menteries et sornettes!