Toutes celles…et toutes les autres

Celle qui a quitté son pays suivant le mari, traversé une frontière pour vivre ailleurs, pour une meilleure vie, cinq enfants en vingt ans et le travail dans l’épicerie familiale, celle qui s’est échinée toute sa vie, petite et menue et forte quand-même. Celle qui cuisinait les patates à la poêle mieux que personne, celle qui savait coudre des gants en cuir celle qui tricotait toute la journée des pulls des bonnets des chaussettes et des écharpes de toutes les couleurs, celle qui a perdu très jeune son mari et un bébé et a tremblé toute sa vie pour le fils qui lui restait, celle qui boulangeait le pain maison à la perfection et pâtissait tous les gâteaux d’anniversaire, Celle qui a subi toute sa vie sans rien dire, celle qui s’est révoltée et a pourtant souffert autant, celle qui a voulu des enfants et n’en a jamais eu, celle qui n’en voulait pas et n’a pas su ne plus en faire, celle qui voulait faire des études quand les filles n’en avaient pas le droit et qui est devenue institutrice. Celle qui est partie, celle qui est revenue, celle qui a perdu sa maison, celle qui a perdu ses souvenirs, celle qui a perdu sa famille, celle qui a perdu ses mots, Celle qui a chanté pour se donner du courage, celle qui a chanté de bonheur, celle qui a pleuré de chagrin, celle qui s’est couchée par terre en tapant le sol pour ne pas hurler, celle qui a marché couru dansé, celle qui voulait voir le monde, celle qui s’est fait toute petite dans sa maison qui n’était même pas la sienne, celle qui a joué du piano touches blanches touches noires, pour elle pour les autres mais surtout pour elle, celle qui se noyait dans les livres et ne voulait plus en sortir, celle qui écrivait son journal tous les jours, celle qui y pensait tous les jours, mais n’y arrivait pas, pourquoi d’ailleurs, elle ne savait pas, il aurait suffi de s’y mettre un matin ou un soir, le premier, et puis ne plus arrêter. Celle qui montait 400 marches jusqu’au sommet du clocher pour voir la ville d’en haut, celle qui montait 4000 marches jusqu’au sommet de la montagne pour voir le monde jusqu’à la mer, celle qui est restée dans son jardin à voir la rose éclore, à regarder le soleil à travers ses mains transparentes. Celle qui pensait avenir en courant toute la journée et celle qui vivait dans le présent se réjouissant de ce que lui concédait la vie, des semaines de miettes et des jours de gros parts de gâteau bonheur

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “Toutes celles…et toutes les autres”

    • L’espoir fait vivre et c’est moins triste. Et s’il pleut, on attendra le soleil…
      Bises