dialogue #01 | comme d’hab

Comme après chaque rendez-vous d’éditeur, je me trouve rejeté sur le coin d’une table de café et pour comprendre tous les soulevés-relâchés que je subis, il faut tenter de reconstituer ce qui vient de se passer l’heure d’avant, dans le bureau de l’éditeur, comme toujours. Cela mériterait-il d’être écrit, une sorte d’appendice de moi-même, manuscrit de fiction ? Tout au plus ce serait de la cryptérature. Et ce mot inventé par mon auteur est pour lui amer. Bien sûr que partir sur cette voie ferait vivre un peu son invention mais cela reviendrait peut-être à renoncer à tout jamais à la littérature, à engendrer des êtres tels que moi. Pour une autre forme d’invention ?

Elle lui a pourtant été reconnue par l’éditeur, sa capacité d’inventer, tout à l’heure. Quand il a entendu ça, mon auteur, j’ai senti son sourire revenir, comme à la rédaction de certaines de mes pages.

Mais juste après, ses espoirs ont été douchés par l’éditeur. Douche glacée. Il lui a fallu comprendre que je ne changerais pas de main. J’étais alors juste devant lui. Il n’a pas pu s’empêcher de me faire claquer sur la table et de me saisir comme s’il était prêt à me jeter au loin.

L’autre s’est levé en criant comme s’il pouvait imaginer qu’un simple manuscrit comme moi puisse devenir un projectile rotatif à bord tranchant et donc capable de couper au passage une tête, fût-ce celle d’un éditeur.

Mon auteur a senti qu’il était allé trop loin, il s’est excusé tout en me reprenant doucement, comme si je redevenais quelque chose de beaucoup plus précieux qu’une arme.

Du coup, l’éditeur s’est mis à faire de nouveaux compliments sur moi, sur certaines de mes pages au moins, notamment les quarante premières.

Et là, je n’en suis pas revenu, c’est mon auteur qui s’est mis à reconnaître à haute voix les faiblesses des autres de mes pages. Il me tenait pourtant toujours presque tendrement et j’avais à me demander qui de nous deux il plaignait le plus de toutes ces faiblesses confessées.

L’éditeur n’a plus eu qu’à lui passer le bras autour des épaules et à le raccompagner vers la porte.

Ce n’est qu’une fois sur le trottoir que mon auteur a réalisé que c’était un échec de plus. Il m’a alors pincé violemment entre le pouce et l’index de la main droite et m’a donné un coup de poing de la gauche. A partir de là, il n’avait plus qu’à trouver un café -le sixième arrondissement de Paris n’en manque pas- et entreprendre ce nouveau débriefing face à face avec moi, son œuvre.