courgette ronde

au potager 1, françoise renaud, juillet 2019

Exercice d’été que de se poser chaque jour au même endroit du jardin — comme à l’affût —, d’observer la croissance des plantes, feuillages et parties comestibles. Exercice pour le regard et pour le corps impatient. Ça réclame de l’attention et du goût pour la démarche scientifique, aussi de la capacité à s’étonner et se laisser troubler. On mesure en direct l’impact du temps sur la matière. En même temps s’élève au cœur un murmure d’inquiétude. La vie réelle se manifeste à plein. Il faut être calme et précis pour relever les détails (y être sensible forcément), les écrire. L’observation devient chemin entre fécondation et pourrissement.   

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Ballon légume : lourd, caché au ras de l’herbe, accroché à la tige longue.

Peau : verte lisse dure.    

Ramasser. Cueillir à point nommé le matin ou le soir.

Chair dedans (on ne la voit pas, on la suppose vert pâle et douce). À entamer au couteau avant de retirer les graines au cœur.

Peau : imprimée en deux nuances de vert, comme rayée. Finement tachetée aussi. Et ça, de la pointe à la queue.

À surveiller de près, cette chose nourrie du ciel et de la lumière.

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Ça grossit à vue d’œil (je surveille le point chaud depuis plusieurs jours, bien dissimulé sous le feuillage,). Étonnante capacité à enfler, gonfler, pellicule cirée et chair dedans croissant à la même vitesse et dans le même mouvement, comme faisant équipage. Processus irréversible de la naissance et de la maturation — à y penser, s’anime la vibration inquiète dans le cerveau. Ce légume est en vérité un fruit puisque issu de la fécondation d’un ovaire de fleur. D’abord une sphère minuscule, un genre de noyau jaune, un bouton vivant, un petit pois qui émeut avec sa corolle fripée en panache pareille à un vêtement abandonné. Sans parfum. On n’y fait pas attention au début sauf si on guette. Et le pois se met à respirer. À prendre de la couleur à mesure. Il se nourrit du ciel.

J’ai coutume de cultiver des courgettes longues. Pour une fois j’ai choisi un plant de rondes. Fines en goût m’a dit le pépiniériste de la vallée des norias. De bon conseil, l’homme.

au potager 2, françoise renaud, juillet 2019

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Plus d’un centimètre par jour gagné en diamètre, l’écart entre les bords d’une faille en zone de subduction pendant un an. Et même davantage certains jours. Quelles sont les forces qui président à cette croissance hors norme ? Le corps observateur, immobile comme chasseur devant le terrier. Flaire l’odeur du jardin, la magie de la chair en expansion.

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Je m’inquiète : quand la cueillir ? J’en parle à un voisin excellent jardinier. Ne pas tarder, après excès de graines et la chair tourne au farineux. Je la prends en paume, tourne d’un demi-tour, la détache. Bruit froissement au moment où le lien se rompt. Elle est lourde, légèrement aplatie aux pôles — l’un nombril, l’autre cicatrice de fleur. Beau spécimen à cuire, à farcir. Y aller étape par étape.

Précuire 10 minutes dans l’eau bouillante. Découper le chapeau, évider le ventre. Faire fondre oignon gousse d’ail à l’huile d’olive. Ajouter la pulpe. Sel poivre pointe de cumin. Cuire comme il convient. Mélanger hors feu avec fromage de chèvre, menthe et pignons de pin. Farcir le légume. Enfourner 20 minutes à 180°. Déguster.

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Quintessence du végétal qui a besoin de terre, d’eau et de soleil pour porter à terme ses parties nourriture alors que le corps immobile — comme devant un terrier — observe le passage de l’été, ses effets sur le jardin, les fins duvets érigés autour du nombril ou de la cicatrice florale, et même ailleurs sur la peau, l’ordonnance des dessins sur la peau, dessins dentelle déjà contenus dans les chromosomes de la plante dotée de feuillage aux vastes découpures.  Flaire les odeurs les brises les battements au cœur. L’avenir promet.

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

14 commentaires à propos de “courgette ronde”

  1. J’aime votre jardin qui palpite et la posture d’observation adoptée. Déambulation gourmande et sensuelle bienvenue !

  2. Magnifique ! j’en ai l’eau à la bouche. Le 5, quelle merveille ! Et puis essayez les courgettes de Nice, dites « trompette », vert clair forme tordue, pas de graines, chair jaune, savoureuse comme on n’imagine pas… seront toujours moins bonnes qu’à Nice mais toujours meilleures que toutes les autres 😉

  3. D’accord avec tous les commentaires, Françoise, c’est savoureux, minutieux, léger et profond à la fois. Des descriptions aussi dignes de la prop 4… Très joli.

  4. Quel beau texte, Françoise, je me suis trouvée dans ton regard, ancrée sur ta bonne terre ! Les courgettes de Nice, oui, très productives et si bonnes au goût (à cueillir jeunes). Et ce final… magnifique !

    • que de beaux regards que le tien, chère Marlen, et les vôtres à tous… ça donne du plaisir, ça donne envie de poursuivre et de continuer à partager tout cela : le jardin, l’été, la table, l’écriture…

  5. je saurais (mais comme ça de façon purement platonique) les cultiver, les aime d’avoir nettement moins de pépins (lesquels me sont interdits)
    mais vais les regarder avec plus d’admiration désormais

    • En les farcissant avec ce qu’on veut, on enlève le cœur et donc les pépins. Après vous pouvez tout manger, même la peau (cultivé juste avec de l’amour bien sûr, et de l’eau de la rivière juste à côté et de la lumière du Sud)…
      Si vous venez vers les Cévennes (on ne sait jamais), vous êtes invitée à table, ça va de soi… et sans pépins, promis !