Creuser

Née, aurais pu ne pas. Poussé tous les cris de la vie d’un seul coup. Regardé, écouté, tenté de comprendre les rouages du comment être, comment faire, comment se comporter, comment s’adapter. Appris à lire avant l’âge, ai sauté une classe, commencé à ressentir un mal être, solitudiné beaucoup, imaginé, cherché refuge au sein des livres, des mots. En ai posé aussi dans des ornières. Marché souvent, ramassé des pierres beaucoup. Tamisé du sable et le temps. Regardé avec des yeux flous. Passée inaperçue, transparente, avec l’impression de n’être qu’une ombre qui se rétracte dès que l’on s’approche. Pas fait de bruit, glissant entre les uns et les autres, regardant beaucoup, écoutant et fuyant. Courbé le dos. Respiré dans les marges. Fait des choix de vie sans jamais être sûre de rien, détourné les yeux, voulu faire comme tout le monde, arrondi bien des angles, tricoté les jours à grosses mailles, rapiécé quelques accrocs sur la peau percée, colmaté des fissures, traversé des forêts d’incertitudes, conjugué les silences. Erré entre les bleus . Douté beaucoup. Apprivoisé l’autre, été apprivoisée. Aimé. Marché encore. Vécu la vie d’une femme : fille, épouse, mère, directrice d’école, amie, ne sachant où donner de la tête. Fait un pas de côté. Craqué, déraillé, sombré, dérapé, déliré. Passé la majeure partie de la vie entre les quatre murs d’une classe. Percuté des murs, étouffé, puis retrouvé souffle et sillon. Lu, écrit, rêvé, capté des photos, marché. Parlé un peu, boutonné le temps et les gens, croisé les morts, rapiécé les vivants, déchiffré l’autre, posé le regard devant, tissé quelques liens, tenté de ne plus perdre pied, embribé la vie de mots, tessonné la langue. Prendre le temps qui reste à pleines mains, ressentir, penser, parler mais pas trop, ouvrir un livre, écrire, laisser peser l’image, photographier, rêver, être entre un dehors et un dedans, saisir ce qui tremble encore, fouiller entre miroir et mémoire, frissonner, espacer, creuser les crépuscules, écumer, désirer, aimer, vaciller, équilibrer, balbutier, espérer les mots qui ouvrent, savourer le quotidien, écouter les oiseaux, respirer, traverser les ombres, vivre

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

Un commentaire à propos de “Creuser”

  1. Solange, je lis votre texte un peu en retard, merci beaucoup vous avez des verbes très précis et vous me donner l’élan pour commencer. Je n’arrive pas à comprendre « transparente, jamais sûre de rien » et directrice d’école ? Vous avez fait un rude chemin, mais vous l’avez fait. je vous remercie encore. Simone.