Dépendance à la cuisine

elle restait immuable         c’était rassurant d’une année sur l’autre         les vacances en saut de puce         été comme hiver         on  ne pouvait pas la surprendre          même en arrivant à l’improviste c’était le cœur chaud          battant de la maison          avec sa cheminée         immense qui mangeait tout le fond               près de l’armoire aux apéritifs         la cuisine         accueillante         avec ses petits carreaux crème         puis bleu         puis rouge         son devant d’âtre noir         la table au milieu          la nappe désuète         les chaises en paille pour tous les cousins cousines oncles tantes grands-parents voisins occasionnels         des grandes occasions         juste derrière         le vieux bahut peut-être         centenaire allez savoir         sentait bon la cire         le vécu de cuisine         à côté la gazinière         mon premier coulis de tomates         odorant avec le romarin du jardin réduisait à petits bouillons                 je restais fascinée à le regarder faire         concentrer les saveurs et le sucre         au fond l’évier         puis les marches         elles donnaient sur la chambre des grands-parents         en contrebas         trois en bois         pas entretenu         qui sert juste à marcher dessus         le brouhaha des cuisines         la vapeur aux fenêtres         le rougeoiement des braises         les joues chaudes          qui brûlent la danse des flammes         la ouate          les pas des adultes enjambent et pestent         décolle-toi un peu         tu es encore là         tu n’as rien à faire d’autre          moi surprise d’être accusée         je regarde et garde tout         les pieds de la table en inox         ses chevilles fines et chaussées d’embouts noirs         les rainures des rallonges         invisibles du dessus         les conversations         grasses         les éclats de voix          rires          rage         les châteaux qui s’écroulent         crépitement des étincelles         la cocotte siffle         les patates sont cuites         la buée embue         les vitres          la porte entrouverte sur le couloir glacial          comme une autre cocotte la vapeur s’échappe         mais le froid va entrer on le referme vite les soirs de voie lactée et de grillons stridents         les soirs menaçants d’un orage d’été         tout le monde se souvient         même ceux qui n’y étaient pas surtout la grand-mère                         de garder les fenêtres closes          une boule de feu          est entrée il y a longtemps         avant de ressortir         par la large cheminée le courant d’air l’avait attirée         c’était la foudre grimée elle a traversé la tablée aux nombreux enfants          sans les toucher la cheminée était trop forte         la boule n’a pas pu résister à l’appel de son air du dehors         les serviettes de table n’ont pas brûlé une sacrée chance         une sacrée trouille mieux vaut la buée         elle rend moite et somnolent 

A propos de Stéphanie Rieu

J'ai 44 ans et à ma grande stupéfaction, je vis en Lozère depuis maintenant quinze ans. J'ai souvent pris des trains en marche pour le plaisir de l'aventure ce qui m'a permis de pratiquer différents métiers tout aussi passionnants les uns que les autres et toujours en lien avec l'humain. Il y a quelques années, je me suis formée à la biographie familiale avant de réaliser que c'était sur ma propre matière que j'avais envie de travailler. J'ai donc intégré "Les Ateliers du Déluge", où, avec d'autres compagnes d'écriture, nous formons un ensemble insolite, disparate, joyeux et déluré, ne reculant devant aucun défi, ni prise de risque (y compris celui de s'inscrire sur les ateliers en ligne du Tiers-Livre !). Aujourd'hui, j'essaie de prêter une oreille attentive à ce qui m'anime : écrire, cuisiner, lire, accueillir, jardiner afin d'oser aller à ma rencontre. Malgré les efforts incessants que je déploie pour essayer de réfléchir sérieusement à mon avenir, je ne sais toujours pas ce que je voudrais faire quand je serai grande.