Deux pains de sucre Interstice 2

Intersitice 2 Deux pains de sucre
Ce village des bords du lac de Come est colonisé par des chats. Maisons aux herbes sèches aux fleurs rares mais opulentes. Petits chemins de traverses, ruelles aux pierres descellées, dédales infinies intimités linge murs bruissants et par-dessus, toitures rouges la mer or le bateau noir, des jardins suspendus verts potagers vignes argentées des millions de couleurs de transparence de scintillement.
Celle-là on aurait pu l’appeler Pain de sucre: à l’entrée, la cuisine, antre sombre propre à déposer nos manteaux nos sacs, mais où ? Même boire un verre doit se faire debout. On préfère servir l’ apéritif dans la rue, où l’on s’asseoit sur des bancs de pierre, au soleil. Pas de fenêtre non plus ou à peine, pénombre, humidité, le sol pourrait être de terre battue. Par un escalier de meunier atteindre les chambres, elles, inondées de soleil, et dans la première, entourant le lit large courtine blanche se renflant au vent comme une voile. Blond plancher de chêne dont les lattes se sont creusées de labyrinthes d’écritures dont on n’a pas encore découvert le chiffre, et court à l’étage supérieur l’escalier continu au cœur du fruit maison, à l’étage ultime, en haut sur la plus haute tour, joyau, la salle à manger, terrasse sous des pampres de vigne, la mer aux pieds et les jardins étagés en offrande, la table enfin, où par des paniers on a monté les couverts le pain le vin les fleurs, le chien réduit à attendre en bas.
Rêvée et dessinée dans un album par Kunio Kato et Kenya Hirata, c’est une histoire que j’aurais voulu inventer. La mer est belle à perte de vue. Elle se gonfle encore. Alors encore il construit un étage, le vieil homme qui n’a pas voulu quitter sa maison. Les anciens du village viennent le voir, lui apportent des victuailles, trinquent de leurs bateaux avec lui, donnent des nouvelles du monde. Et lui surélève encore et encore le salon, laissant agréablement un trou au milieu, pour pêcher de son fauteuil. Avec sur le toit une terrasse et des plantes, et disponible à la porte, une barque. Encore une fois, mais il se sent fatigué. D’ailleurs il vient de laisser tomber son marteau au fond tout en bas. Il se voit obligé de décrocher son scaphandre de la patère pour descendre chercher l’outil, au fond du fond, tout en bas là où l’herbe est grasse, où il faisait du vélo avec sa fiancée, on le voit sur une prairie de pâquerettes, dans le temps. Pour rejoindre à présent son nid, il traverse une à une les chambres inondées de sa vie : celle où ils s’aimèrent, celle du premier accouchement, celle où elle est morte. Il est heureux avec son chien. Et il monte en même temps que la mer, léger, léger… lesté, délesté, c’est selon