dialogue #02 | seule en scène

Mais qu’est-ce qui t’a pris de m’emmener là. Le soleil dans la figure après la longue séance dans le noir, où cette femme parlait parlait, tu ne songeais qu’à te rendre dehors, tu réclamais une cigarette alors que tu n’as jamais fumé. Tu as commencé à partir juste en sortant de cette salle de spectacle au beau milieu de l’après-midi, pourquoi cette idée de s’enterrer en plein jour, ne m’emmène plus là-dedans, il fait si jour si fort, oui m’man, mais ne tasse plus les mots qui s’empilent tout au fond, que ce soit dit dans le rythme qu’il faut quand tu marches dans la ville, tu t’arrêtes – d’un coup subitement sans prévenir personne. Tout le monde t’a perdue, oubliée, mère perdue, encore, mais enfin tu pourrais nous faire signe. Faut remonter le boulevard, à chaque fois, ne me regarde pas, c’est moi qui pars à la recherche, tu souffles dans mon cou, on prend le courant du jour à contresens, je sais que tu ne veux pas vivre à la maison. Dans le chemin des arbres, comme je sais ta façon d’aimer les arbres et de les suivre. A chaque fois suivre la trajectoire impossible de tes pensées. Comme on recherche le petit mammifère qui se faufile entre les arceaux de la clôture et s’étrangle tout seul à force de pousser dans la ferraille. Ma mère encore envolée. J’entends ce que tu t’es dit hier comme tout à l’heure. Tout à l’heure ma fille ta colère de me voir si étourdie, les pensées hors de ma tête qui me servent de guide et font ce geste d’envaser la rue, poussez-vous nous passons, regarde maman comme les gens s’écartent, ton impatience à t’arrêter devant eux, un jour je t’ai retrouvée, noyée toute petite au beau milieu d’un groupe de jeunes, qui continuaient à discuter entre eux sans te trouver bizarre, tu es restée de longues minutes à les contempler un à un, leurs chaussures montantes comme de vastes péniches, et leur coiffure avec les traits réguliers qu’ils font sur le crâne, leur affrontante modernité, m’man tu pourrais peut-être les admirer à distance, juste te décaler un peu par rapport au monde, ne reste pas au milieu maman, essaye un grand plan large comme une plage où dormirait ta pensée, et les oiseaux électriques qui s’y propagent, la ville est le feuillage indécis qui tangue dans l’après-midi, tu vois la ville avec des yeux de corbeau, d’épervier, de lustre abandonné sur le trottoir. Errer dans la ville ne s’apprend pas, errer dans la ville n’a pas meilleur goût pour se déshabiller l’intérieur, se désapprendre, si bien qu’on marche à hauteur de l’autre et non plus en soi, se dégourdir l’âme, prendre le frais dans la ville un samedi grande affluence fête des corps, s’oublier dans la pesée, marche avec moi vecteur dans le même sens, ton corps à mon bras couvert de soleil, tu nous vois enfin peut-être assemblées, fallait juste juste, un peu se décentrer, comme s’entêtent les arbres flottants de la ville.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

2 commentaires à propos de “dialogue #02 | seule en scène”

  1. Tant de belles images, de jolis mots et de riches phrases. Un parfum délicieux tout en douceur. J’ai beaucoup aimé.

    • Un immense merci Jean-Luc, cela fait très plaisir. C’est un tel labyrinthe intime, de traduire en mots ce genre de « tropisme », l’étrangeté qu’on parvient difficilement à dire, à vivre…