dialogue #03 | une scène

On rentrait chez nous apres une après-midi chez elle. Quand je dis chez nous, je veux dire chez lui puisque je n’allais plus chez moi que pour changer de vêtements. On alternait alors entre un frugal chez nous et chez elle. Chez elle, c’était entrer dans l’âge adulte par la porte de l’abondance et de la liberté. C’était aussi apprendre à tourner la tête.

– Monte le son.

– Quoi?

– Plus fort, la musique!

Le bruit remplissait l’habitacle, mes mains tapaient sur le tableau de bord, les percussions martelaient mon crâne, mon coeur battait en rythme. Le son était si fort, qu’il annulait tout ce qu’il y avait autour, le monde, la voiture et mon mec. La musique m’empêchait de penser. Il s’engagea sur le trottoir pour stationner le véhicule devant chez lui. Coupa le moteur, éteint la musique.

– On y va?

Malgré mes efforts pour oublier, je ne pouvais retenir plus longtemps la question qui me brûlait depuis le début de l’apres-midi:

– Alors, tu n’as rien à dire ?

– Quoi?

– Fais pas le con…

Il s’était tourné vers moi tout en defaisant sa ceinture de sécurité. Le ressort du boîtier de d’enroulement de la ceinture claqua comme une déflagration. Il avait le visage fermé, impassible, mais ses yeux feignaient la surprise. Comme je me taisais toujours, il retira les clés du contact, secoua ses jambes et se retourna pour attraper sa veste sur le siège arrière.

– La scène chez Marie. Quand vous êtes sortis de la cabane à outils.

Comme il ne réagissait pas, j’ajoutais:

– Il s’est passé quelque chose?

J’ai senti ma voix monter dans les aigus malgré moi. La sangle de la ceinture de sécurité griffait mon cou. Il souffla lentement, dans l’air chargé de la voiture. Il s’agitait sur son siège, ne savait plus quoi faire de sa veste qu’il passait d’une mainà l’autre. La chaleur de l’habitacle devenait insupportable. J’essayais de me dégager mais la ceinture paraissait bloquée.

– Ah c’est ça, tu veux encore tout gâcher? Tu crois que je vais supporter tes soupçons combien de temps?J’ai dit et je redis qu’il n’y a rien entre Marie et moi. Et si tu n’es pas capable d’oublier le passé, alors tu ferais mieux de m’oublier. Je te ramène ?

Je baissais la tête en défaissant la ceinture et en ouvrant la portière. J’entrais dans l’appartement d’un pas conquérant, ignorant ses paroles qui me poursuivaient à l’intérieur.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.